Qui ne voudrait remonter à la source des premières inspirations d’un génie original, pénétrer dans le secret des causes qui ont dirigé ses forces naissantes, le suivre pas à pas dans ses progrès, assister enfin à toute la vie intérieure d’un homme qui, après avoir, dans son pays, ouvert à la poésie dramatique la route qu’elle n’a point quittée, y marche encore le premier et presque le seul ? […] C’est l’homme qu’il veut ressusciter ; c’est l’homme qu’il interroge sur le secret de ses impressions, de ses penchants, de ses idées, de ses volontés. […] Le génie puissant dont le regard avait embrassé la destinée humaine n’en pouvait méconnaître le sublime secret ; un instinct sûr lui révélait cette explication dernière, sans laquelle il n’y a que ténèbres et incertitude. […] Rien n’est beau pour l’homme qui ne doive ses effets à certaines combinaisons dont notre jugement peut toujours nous donner le secret quand nos émotions en ont attesté la puissance. […] L’unité d’impression, ce premier secret de l’art dramatique, a été l’âme des grandes conceptions de Shakespeare et l’objet instinctif de son travail assidu, comme elle est le but de toutes les règles inventées par tous les systèmes.
Eux aussi croient connaître assez l’homme, ses mobiles intérieurs, ses motifs secrets d’action, ses passions, ses instincts ; et ils ne s’attachent en tout, comme Voltaire, qu’à la peinture des mœurs. […] Là même est le secret du bonheur. […] Dans le Discours de Dijon, dans le Discours sur l’inégalité, dans la Lettre sur les spectacles, les contemporains ont reconnu les accents de cette éloquence dont on pouvait craindre que depuis cinquante ans le secret ne se fût perdu. […] On ne leur dérobe point le secret de leur forme en leur abandonnant le fond de leurs idées. […] Mais sa philosophie n’en forme pas moins un système lié ; — si peu de gens ont le goût d’approfondir les grandes questions ; — et si c’est même cette disposition qu’on peut appeler le voltairianisme. — Elle est assez générale ; — et de dire qu’elle est naturelle à l’esprit français, ce serait assurément trop dire ; — mais une espèce d’épicurisme intellectuel nous y a de tout temps inclinés. — Le génie de Voltaire est d’avoir incarné cette disposition ; — comme personne avant lui, ni depuis ; — et le secret de son influence est de l’avoir consacrée, — par la triple autorité de son esprit ; — de sa fortune littéraire ; — et de son succès mondain. — Il a fait le tour des idées de son temps [Cf.