Elles ont toujours précédé les sciences profondes ; elles ont décoré leur surface, & c’est par cet artifice ingénieux que la Nation les a d’abord adoptées, puis chéries. […] On dira : si la science nous éclaire, c’est sur notre misère réelle ; elle nous offre sous un jour trop vrai notre pauvreté, notre faiblesse & notre malheur. […] Sans les Sciences, l’homme seroit au-dessous de la brute. […] Dès qu’un peuple est arrivé au point d’avoir goûté les Sciences & les Arts, il faut qu’il les pousse au plus haut degré de perfection, s’il ne veut pas augmenter ses maux. […] Il se rendra l’égal du Philosophe : mais le Poète souvent ne se doute seulement pas combien les Sciences lui sont nécessaires.
Évidemment, ce dernier danger nous menace tous ; notre objectivité est toujours relative, et notre science toujours incomplète ; à cela il n’y a point de remède que la collaboration de tous les penseurs honnêtes et la discussion sincère. […] Quoi qu’en dise la science positiviste, le comment est inséparable du pourquoi ; et c’est pour avoir renoncé délibérément, avec un sourire de dédain, à la « métaphysique du pourquoi », que le « comment » positiviste se réduit le plus souvent à une périphrase, à une tautologie trompeuse. […] La faute en est à nous, qui avons créé peu à peu un abîme entre la science des faits et la conscience morale, entre le comment de l’existence et le pourquoi de nos efforts. […] Si oui, nous aurions quelque espoir de le découvrir un jour par une analyse plus minutieuse, par une science plus grande ; mais s’il est d’un ordre différent, c’est notre méthode d’investigation qu’il faut compléter. […] Si notre science contemporaine agit si peu, ou si mal, sur les mœurs, c’est qu’elle se contente trop souvent d’aligner des faits, sans beauté : elle ne va pas à l’âme.