Mézeray, nous racontant la Saint-Barthélemy et le contrecoup de cette nuit sanglante dans les provinces, me fait l’effet d’un historien qui raconterait les massacres de Septembre après en avoir recueilli toutes les circonstances dans les auteurs originaux et de la bouche de quelques témoins survivants : un historien qui déroulerait aujourd’hui, comme il le fait, la longue traînée de forfaits qui s’alluma à ce signal dans les provinces, la bande de massacreurs en bonnets rouges à Bordeaux, les massacres des prisons à Rouen en dépit du gouverneur, « si bien qu’il y fut assommé, tué ou étranglé six ou sept cents personnes qu’ils appelaient par rôle les uns après les autres », les scènes de Lyon qui surpassèrent tout le reste en horreur, arquebusades, noyades dans le Rhône, le tout par le commandement de Pierre d’Auxerre, homme perdu de débauche, arrivé tout exprès de Paris, le Collot d’Herbois de ce temps-là ; — un historien qui écrirait, de nos jours, ces mêmes pages de Mézeray, paraîtrait avoir voulu faire des allusions aux personnages et aux événements de la Révolution française : et c’est en cela que le récit de Mézeray me paraît préférable à tous autres et d’un intérêt inappréciable, en ce que l’historien, encore à portée de ces temps, a résumé dans son propre courant tous les narrateurs originaux du xvie siècle, et qu’en nous rendant naïvement les faits et les impressions qu’ils excitent, il nous en fait sentir l’expérience toute vive, sans soupçon de complication ni de mélange. […] Si un historien de nos jours, me racontant ces scènes du xvie siècle, me le dit, je ne le crois qu’avec une certaine méfiance ; mais la date de Mézeray le laisse à cent lieues de nos réminiscences et de nos allusions ; et c’est pour cela qu’il y a une partie de l’histoire qu’il faut continuer de lire dans les originaux ou chez les rédacteurs et compilateurs naïfs qui en tiennent lieu.
Or un jour, en été, qu’il avait plu, il se passa entre les dames et lui, au jardin, la petite scène suivante (Marie, c’est Mme Unwin ; Anna, c’est lady Austen) : La rose La rose avait été mouillée, à l’instant même mouillée par la pluie, cette rose que Marie allait offrir à Anna. […] Là, sur la levée, se tient fermement enraciné notre bouquet d’ormes favoris, que notre regard au passage n’oublie jamais, et qui servent de rideau à la cabane solitaire du berger ; tandis que loin, à travers et par-delà le courant qui de ses flots, comme d’un verre fondu, incruste la vallée, le terrain en pente recule jusque vers les nuages, déroulant dans sa variété infinie la grâce de ses nombreuses rangées de baies, la tour carrée, la haute flèche d’où le son joyeux de la cloche vient expirer en ondulant jusqu’à l’oreille qui l’écoute, des bosquets, des bruyères, et des villages fumant dans le lointain. — Ces scènes-là doivent être belles qui, vues chaque jour, plaisent chaque jour, et dont la nouveauté survit à l’habitude et au long examen des années.