Cette scène d’adieu posthume au catafalque du cardinal, et cette scène d’agonie muette au chevet de la duchesse de Devonshire, ressemblent à ces sépulcres que le Poussin place sous les cyprès dans les paysages des villas romaines ; ce sont des énigmes en plein soleil qui font rêver à la mort au milieu des délices d’une lumière sereine ; mélancolies splendides des pays du soleil, où l’on meurt aussi bien que sous les brumes du Nord. […] Je sens qu’il faut maintenant que ma vie soit environnée : je n’ai plus retrouvé en moi l’ancien voyageur ; je ne songe qu’à ce que j’ai quitté, et les changements de scène m’importunent. […] Vous figurez-vous tout cela, et les idées que cette scène faisait naître ? […] Il était la fidélité bruyante ; il y parut, il y parla, et revint sans avoir produit autre chose qu’un effet poétique, des cheveux blancs sur une scène du passé. […] C’était la tapisserie des célébrités, le parterre juge intelligent de la scène, souvent plus dignes d’y figurer que les acteurs.
L’Angleterre avait eu Shakespeare, la France Corneille, l’Allemagne Goethe et Schiller, ces frères jumeaux de la scène : pourquoi donc l’Italie moderne, dont le génie et la langue valent bien la langue et le génie de l’Angleterre, de l’Allemagne et de la France, n’aurait-elle que des rimeurs de sonnets ? […] Il revint à Turin ; il essaya quelques scènes de tragédie, alla passer quelques mois à Asti pour y cuver ses connaissances nouvelles, et s’aperçut qu’il ne savait rien. […] Concevoir une tragédie, ce que j’appelle ainsi, c’est donc distribuer mon sujet en scènes et en actes, établir et fixer le nombre des personnages ; puis, en deux petites pages de mauvaise prose, résumer, pour ainsi dire, scène par scène, ce qu’ils diront et ce qu’ils doivent faire. […] Et en effet, après un certain temps, ce qu’il en fallait pour oublier complètement cette première distribution de scènes, quand il m’arrivait de reprendre ce feuillet, je sentais tout-à-coup, à chaque scène, gronder dans mon cœur et dans mon esprit un assaut tumultueux de sentiments et de pensées qui m’excitaient, et, pour ainsi dire, me forçaient à écrire ; j’en concluais aussitôt que ce premier plan était bon et tiré des entrailles mêmes du sujet. […] La scène que nous venons de raconter se passait dans la première semaine du mois de décembre 1780 ; le lendemain ou le surlendemain, la comtesse écrivit à son beau-frère, le cardinal d’York, lui demandant sa protection et un asile à Rome.