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283. (1892) Boileau « Chapitre VI. La critique de Boileau (Fin). La querelle des anciens et des modernes » pp. 156-181

La réduction de la beauté et de l’idéal littéraire à la vérité et à la nature, et du plaisir à la raison, c’est-à-dire au général, le sentiment de l’inaltérable identité de l’esprit humain correspondant à la confiance du savant en sa raison, la condition d’universalité objective et formelle imposée à la poésie, correspondant au principe de la permanence des lois de la nature, l’indépendance de la raison universelle maintenue sous l’autorité du consentement universel, la notion enfin de la vraisemblance, équivalent littéraire de l’évidence mathématique : tout cela est bien conforme à l’esprit de Descartes, et l’Art poétique fait l’effet de n’être qu’une transposition des idées cartésiennes. […] Dès la préface du premier volume, Perrault prenait position comme un homme du monde engagé contre des pédants et des cuistres : il se représente bataillant contre « un certain peuple tumultueux de savants qui, entêtés de l’antiquité, n’estiment que le talent d’entendre bien les vieux auteurs ». […] Perrault donc imagina trois personnages : un Président, savant homme, dit-il, et idolâtre des anciens, à qui il ne put prêter toutefois plus de science qu’il n’en avait lui-même, ni plus d’attachement à l’antiquité, qu’il ne croyait qu’on pût raisonnablement en avoir ; un abbé, savant aussi, mais « plus riche de ses propres pensées que de celles des autres », vraie image de l’auteur qui s’y mire complaisamment, sans se douter que cet autre lui-même a plus d’ignorance que d’esprit, et parmi l’abondance de ses idées une totale absence de sentiment esthétique ; enfin un chevalier, sorte de Turlupin de la critique, plus sot que spirituel, n’en déplaise à Perrault, qui l’a chargé d’avancer toutes les énormités qu’il n’osait faire endosser à son abbé.

284. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Henry Rabusson »

Il arrive parfois à tel brave homme d’artiste, de savant ou d’écrivain, un peu gauche et taciturne, de s’émerveiller de la rapidité de conception et d’esprit de tel homme du monde et de se faire à lui-même l’effet d’un sot quand il voit cet agrément, cette finesse, cette abondance de conversation. […] C’était le triomphe de cette stratégie de l’impudeur savante, qui fait parler les lignes et les contours autant et plus clairement que la voix, que les yeux mêmes ; qui met dans une courbe, dans un balancement du buste, dans une saillie du corsage, dans un développement du bras, dans une retraite de la jambe, toutes les forces concentrées de la chair, tout l’appât d’un corps lascif qui se promet… IV Mais cette sensualité que développe la vie du monde est plus fine qu’impétueuse ; les grandes passions ne se rencontrent guère dans ce milieu artificiel. […] Cela est vrai, à des degrés divers, d’Edmée et de Germaine : Edmée, une jeune fille trop savante et trop curieuse — sauvée par sa science précoce et par sa fierté ; Germaine, une jeune femme qui a la coquetterie des sens, « une coquetterie épidermique, animale, d’un caractère étrange, presque monstrueux, féminin quand même », sauvée, celle-là, on ne sait par quoi, par sa froideur foncière, par sa paresse, parce qu’il faut un effort pour franchir le dernier pas… Mais que nous importe que ces fausses honnêtes femmes soient sauvées ? […] La morale des philosophes est une morale de cabinet qui ne les suit guère dehors ; tant qu’on raisonne doctoralement, inter libros ou inter pocula, c’est superbe, plein de simplicité, de grandeur et d’harmonie ; mais deux beaux yeux que l’amour fait arder ont bien vite raison de toutes les rigueurs théoriques de ces belles doctrines, lesquelles, en de certains, moments, sembleront toujours à quiconque ne les a pas inventées de simples jeux de savants.

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