Réunir en une société régulière une multitude d’êtres épars qui pullulent au hasard sur une terre sans possesseurs légitimes et reconnus ; Combiner assez équitablement tous les intérêts divergents ou contradictoires de cette multitude pour que chacun reconnaisse l’utilité de borner son intérêt propre par l’intérêt d’autrui ; Extraire de toutes ces volontés individuelles une volonté générale et commune qui gouverne cette anarchie ; Proclamer ou écrire cette volonté dominante en lois qui instituent des droits sociaux conformes aux droits naturels, c’est-à-dire aux instincts légitimes de l’homme sortant de la nature pour entrer dans la société ; Sanctifier ces lois par la plus grande masse de justice qu’il soit possible de leur faire exprimer, en sorte que la conscience, cet organe que le Créateur nous a donné pour oracle intérieur, soit forcée de ratifier même contre nos passions la justice de la loi ; Faire régner avec une autorité impartiale et inflexible cette loi sur nos iniquités individuelles, sur nos résistances, nos empiétements, nos répugnances ; lui créer un corps, des membres, une main dans un pouvoir exécuteur et visible chargé de faire aimer, respecter et craindre la loi ; Armer ce pouvoir exécuteur de toute la force nécessaire pour réprimer les atteintes individuelles ou collectives contre la loi, sans l’investir néanmoins de prérogatives assez absolues pour qu’il puisse lui-même se substituer à la loi et faire dégénérer cette volonté d’un seul contre tous en tyrannie ; Échelonner, si l’empire est grand, les corps ou les magistratures, religieuse, civile, judiciaire, administrative, de telle sorte que chaque province, chaque ville, chaque maison, chaque citoyen, trouve à sa portée la souveraineté de l’État prête à lui distribuer sa part d’ordre, de sécurité, de justice, de police, de service public, de vengeance même si un droit est violé dans sa personne ; Faire contribuer dans la proportion de son intérêt et de sa force chacun des membres de la nation aux services onéreux que la nation exige en obéissance, en impôt, en sang, si le salut de la communauté exige le sang de ses enfants ; Créer au sommet de cette hiérarchie d’autorités secondaires une autorité suprême, soit monarchique, c’est-à-dire personnifiée dans un chef héréditaire, soit aristocratique, c’est-à-dire personnifiée dans une caste gouvernementale, soit républicaine, c’est-à-dire personnifiée dans un magistrat temporaire élu et révocable par l’unanimité du peuple : voilà le chef-d’œuvre de cette création d’un gouvernement par l’homme. […] Nous n’aurions à choisir, si nous écoutions ces sophistes, qu’entre le sang versé à flots au nom du peuple et le sang versé à torrents au nom de Dieu ! […] Vous vous répondrez : C’est le gouvernement unanime, c’est-à-dire celui qui gouverne au profit du peuple tout entier, qui ne fait point acception de classes, de castes, de privilégiés de la naissance ou du sang, mais qui ne reconnaît dans tous les citoyens que le privilège mobile et accessible à tous de l’éducation, du talent, de la vertu, des services rendus ou à rendre à la communauté. […] Ni les prêtres, ni les princes, ni les peuples n’avaient intérêt à étouffer sa voix dans son sang.
C’est-à-dire que l’unité ne se renouera que dans le sang pendant une grande collision, lutte européenne dont les plaines de la Lombardie et du Piémont seront une centième fois le champ de bataille. […] D’une combustion générale il serait sorti ce qui pouvait, un monceau de cendre étouffé sous une pluie de sang, et foulé bientôt après aux pieds par une tyrannie militaire. […] Violer cette base, ce n’était pas seulement une iniquité, c’était la guerre, c’était le meurtre en masse, c’était le sang humain jeté au hasard et à pleine main sur la terre d’Europe ! […] Ma conscience d’homme timoré devant Dieu répugnait à ce jeu de sang humain dont l’enjeu est la vie de ses créatures. […] Si j’avais été Italien de sang comme je le suis de cœur, aurais-je pu concevoir pour l’Italie une pensée plus filiale ?