De la même plume, et d’un trait non moins sûr et non moins fin, on saisira la nuance qui caractérise l’incrédule frivole du dernier siècle, on prendra sur le fait le révolutionnaire fanatique et convaincu, ou le sceptique de notre époque doutant de tout, excepté de la science, et espérant chaque matin trouver au fond de son creuset l’explication du monde et le secret de l’univers. […] Et puis les grands sujets ne sont pas innombrables, les types s’épuisent, l’art même, qui les saisit et qui les fixe sous la forme la plus parfaite, les retranche du fonds commun ; ils n’appartiennent plus qu’à l’artiste dont le ciseau, la plume ou le pinceau les a réalisés. […] Historien aussi net que ceux-là même qui, se bornant à leurs impressions personnelles, pratiquent forcément la vertu de sobriété, observateur minutieux non seulement des phénomènes scrutés par lui-même, mais encore des nuances devinées, suggérées ou saisies au vol de la conversation, Balzac, riche entre tous, et n’ayant d’autre tort que de mettre en œuvre, un peu au hasard, le trésor de matériaux amassés par lui, a pu écrire cent romans de la vie actuelle, historiques au plus haut point possible, et dont l’ensemble, si incomplet qu’il soit resté faute de temps, excuse l’ambition immodérée de son titre : La Comédie humaine. […] Quand il s’agit des mœurs parlementaires, on est mieux préparé à saisir les allusions ; on les cherche, on les devine, on les suppose.
c’était l’Inconnu : une respiration de bête des temps préhistoriques, l’effrayante respiration de l’Abîme, avec toute la terreur qui s’en dégage, qui en sourd peu à peu pour envelopper, saisir, dominer ! […] Quoi de plus charmant que ce post-scriptum d’une lettre à sa sœur : — « Pardon, ma pauvre Jenni, si j’ai écrit une mortelle petite page avant de parler de toi et de ton bras ; ce n’est pas que j’oublie ni toi, ni lui, mais quand un père a commencé à parler de ses enfants, c’est comme une boule sur un plan incliné… » Un chef-d’œuvre de sentiment est aussi la lettre qu’il écrit à sa fille, la petite Adèle, pour lui apprendre à conjuguer le verbe chérir ; elle serait toute à citer, il n’y a pas une ligne qui ne déborde de tendresse et l’on sent avec quelle joie le père a saisi ce verbe, ce mot pour avoir à le répéter cent fois : « Je te chérissais, mon enfant, lorsque tu ne me chérissais pas encore et ta mère te chérissait peut-être encore plus parce que tu lui as coûté davantage. […] Hugo ne peuvent contenir sa gloire et son ventre… Il fait dans son assiette de fabuleux mélanges de côtelettes, de haricots à l’huile, de bœuf à la sauce tomate, qu’il avale indistinctement, très vite et très longtemps. » Mais Gautier, lui, qui était poète, ne s’en tint heureusement pas là : … Et voici l’inoubliable image, saisie au plus frais moment de jeunesse et d’épanouissement, que le disciple extasié emporta de cette première vision : d’abord « un front vraiment monumental qui couronnait comme un fronton de marbre blanc son visage d’une placidité sérieuse ». […] Mais il faut les saisir au passage tous ces rêves fugitifs du cerveau humain, évocations de la science de Charcot, de l’Allemagne et de la Scandinavie philosophiques, littéraires et artistiques, fleuve d’idées roulant et chevauchant les unes sur les autres comme des vagues qui courent à un Océan inconnu.