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1069. (1926) La poésie pure. Éclaircissements pp. 9-166

Mais encore, cette expression, ou vide de sens, ou dont le sens n’a que peu de prix, ou qui, même riche du plus beau sens, nous réserve des plaisirs inconnus à la raison ; ces mots de tous les jours et de tout le monde, par quelle métamorphose inouïe se trouvent-ils vibrer soudain d’une lumière et d’une force nouvelles, séparés de la prose pure, mariés à la poésie ? […] Auprès de ces grands mots, la chanson Orléans, Beaugency semble riche du plus beau sens. […] Un second sens, qui, à proprement parler, n’est pas un sens, mais qui est gros des significations les plus riches ; sens non formulé, non formulable, que seuls, je ne dis pas comprennent, mais saisissent, palpent, s’approprient soit le poète lui-même, soit les heureux qui lisent poétiquement. […] France est un grand intellectuel, — écrit ce dernier dans son « maiden » article de la " revue de France " (1er décembre 1925), que tous les connaisseurs auront trouvé, j’en suis sûr, riche de promesses ; -l’art est pour lui harmonie et beauté, et non une sorte de communion mystique de l’homme avec la vie. il entend par là, comme Proust, du reste, cette réalisation profonde, dont nous avons déjà tant parlé, et sans laquelle il n’est pas de halo poétique, pas d’incantation : ses deux livres les plus réussis, « le lys rouge » et « les dieux ont soif » sont l’expression tranquille et équilibrée (merveilleusement, mais peut-être uniquement précise, absente, abstraite) d’un artiste sincère, expression qui risque de se refroidir et de se figer. si elle doit tôt ou tard paraître froide et figée, elle l’est, dès sa naissance.

1070. (1923) Paul Valéry

Pour concevoir les grands hommes purs de leur erreur, il faudrait les concevoir purs de leur œuvre, et eux-mêmes ne peuvent appeler leur grandeur que le reflet de leur œuvre sur eux : de leur œuvre réelle et non de leur œuvre possible, puisqu’il nous est loisible à tous de nous croire riches intérieurement d’une œuvre possible infinie que nous n’avons pas daigné réaliser ou que les circonstances ont étouffée. […] Pieusement pareilles, Le nez sous le bandeau, Et nos riches oreilles Sourdes au blanc fardeau, Un temple sur les yeux Noirs pour l’éternité, Nous allons sans les dieux A la divinité ! […] Peu de poètes écrivaient plus facilement que Victor Hugo et peu de vers sont plus riches que les siens en difficultés vaincues. […] à jamais dans le sommeil sans hommes, Pur des tristes éclairs de leurs embrassements, Elle laisse rouler les grappes et les pommes Puissantes, qui pendaient aux treilles d’ossements, Qui riaient, dans leur ambre appelant les vendanges, Et dont le nombre d’or de riches mouvements Invoquait la vigueur et les gestes étranges Que pour tuer l’amour inventent les amants.

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