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544. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME GUIZOT (NEE PAULINE DE MEULAN) » pp. 214-248

La plupart des hommes, après la jeunesse passée, reviennent à un sens exact des choses. […] » On va chez la fiancée qui est prête, et de là à la municipalité où l’on attend ; mais l’officier municipal ne vient pas ; sa femme est accouchée de la veille, il faut bien qu’il ait son décadi pour s’amuser avec ses amis et fêter la naissance de son enfant. « Ce sera pour demain, » se dit chacun, et l’on s’en revient un peu désappointé ; le rival, qui est de la noce en qualité de cousin de Charlotte, sourit ; l’optimiste Pierre répond à son maître, tout irrité, par son mot d’habitude : « Qui sait ?  […] » Et de ce ton de douairière du Marais qu’elle affectionne : « La manie de votre âge, dit-elle en terminant, est de vouloir faire entendre la raison aux hommes : l’expérience du mien enseigne qu’il est plus sûr de les y laisser revenir ; que le temps les ramène d’ordinaire à la raison et à la vérité ; mais que la raison et la vérité n’ont presque jamais convaincu personne. » Cet esprit si expérimenté et si sûr, qui débute par où d’autres sages finissent, patience ! […] A un endroit de cette discussion, le nom et l’autorité de Turgot sont invoqués, et l’on sent comment les prédilections de l’auteur reviennent encore et s’appuient par un bout au XVIIIe siècle, mais relevées et agrandies. […] Née catholique, atteinte de bonne heure par l’indifférence qu’on respirait dans l’atmosphère du siècle, revenue, après des doutes qui ne furent jamais hostiles ni systématiques, à un déisme chrétien très-fervent, à une véritable piété, elle s’y reposa, elle s’y apaisa.

545. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VII. La littérature et les conditions économiques » pp. 157-190

Cela revient à dire que l’art suppose une société où les besoins urgents de la vie sont déjà satisfaits ; il faut du loisir pour goûter les œuvres des poètes ; il en faut pour les créer. […] Alexandre Dumas fils lance cette épigramme à l’adresse des boursicotiers : « Les affaires, c’est l’argent des autres. » Emile Augier, contemporain de la fièvre de spéculation qui sévit sous le second Empire, revient dix fois à la charge contre les agioteurs. […] Celui qui veut demeurer artiste en dépit de tout est apprécié d’une petite élite ; mais, à moins d’une chance Ou d’un talent extraordinaire, il se condamne à une demi-obscurité qui a pour conséquence une certaine médiocrité de vie ; il n’est pas coté sur la place : il est dédaigné des libraires et des éditeurs ; il est même en danger de mourir de faim, s’il n’a pas une autre source de revenus. […] Les autres, les plus nombreux, sont obligés d’employer leur talent comme moyen d’existence et pour ceux-ci il faut toujours se demander quel est, en dernière analyse, le groupe qui les paie ; car de sa valeur intellectuelle et morale, de la part de revenus qu’il veut ou peut consacrer à la satisfaction de ses goûts esthétiques dépend en une mesure non négligeable l’orientation des œuvres littéraires. […] Tandis que Desportes mange douillettement les revenus d’une quantité de grasses abbayes, son neveu, Régnier, esquisse en traits inoubliables le portrait des poètes crottés.

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