On pouvait s’y attendre, car le souvenir, — ainsi que nous essayons de le montrer dans le présent ouvrage, — représente précisément le point d’intersection entre l’esprit et la matière. […] Et ces images elles-mêmes ne sont pas représentées à la conscience sans que se dessinent, à l’état d’esquisse ou de tendance, les mouvements par lesquels ces images se joueraient elles-mêmes dans l’espace, — je veux dire, imprimeraient au corps telles ou telles attitudes, dégageraient tout ce qu’elles contiennent implicitement de mouvement spatial.
Son style est quelquefois mystérieux comme l’être à qui il parle ; son oreille même cherche dans les sons une harmonie inconnue ; et comme pour donner une habitation à la divinité, il a élevé des colonnes, exhaussé des voûtes, dessiné des portiques ; comme pour la représenter, il a agrandi les proportions et cherché à faire une figure imposante ; comme pour en approcher dans les jours de fêtes, il a substitué à la marche ordinaire des mouvements cadencés et des pas en mesure ; ainsi, pour la louer, il cherche, pour ainsi dire, à perfectionner la parole ; et joignant la poésie à la musique, il se crée un langage distingué en tout du langage commun. […] Le pays où Homère chanta, où Orphée institua des mystères, où l’architecture éleva des temples dont nous allons encore admirer les ruines, où le ciseau de Phidias semblait faire descendre la divinité sur le marbre ; ce pays où l’air, la terre et les eaux avaient, aux yeux des habitants, quelque chose de divin, et où chaque loi de la nature était représentée par une divinité, dut produire un grand nombre d’hymnes en l’honneur des dieux qu’on adorait ; mais la plupart de ces hymnes furent défigurées par des fables et des contes de fées, faites pour les poètes et les peintres : elles amusaient le peuple et révoltaient les sages.