La mère d’Émile Littré, qui était d’Annonay, — elle, protestante de religion et croyante, — n’avait pas dans son genre une moindre originalité que son mari. […] Nom vénérable et presque sacré, plus mystérieux et plus voilé que ceux de Socrate et de Platon, à peine plus dessiné à nos yeux et plus distinct que celui d’Homère, on ne t’interrogeait qu’avec respect et religion ; on supposait derrière ta science toutes sortes de sciences perdues, on voyait dans ton expérience le résumé de toutes les expériences ; on sentait en toi, aux bons endroits lumineux, l’universalité d’une doctrine, le lien de l’observation comparée, partout le sentiment de la vie ; on voulait tout comprendre, on espérait t’arracher de derniers secrets ; on te demandait presque des oracles. […] Ces âmes intègres et entières ont des sensibilités plus entières aussi ; elles ont, à leur manière, des religions de famille, et, quand le destin les frappe, elles reçoivent le coup en plein, sans subterfuge, sans consolation. […] Littré en donnait en 1853 une deuxième édition, augmentée d’une Préface capitale dans laquelle il expose la loi des religions, comme il l’entend depuis qu’il est passé, disait-il, de l’état sceptique à une doctrine plus stable.
Le ciel, la mer, les montagnes, les fleuves, la race, la langue, les religions, les grandeurs et les revers de la destinée, le passé presque fabuleux, le présent triste, l’avenir toujours prêt à renaître, et toujours trompeur, la jeunesse éternelle de ce sang italien qui roule toutes sortes de royautés déchues dans ses veines, une noblesse de peuple-roi dans le dernier laboureur de ses plaines ou dans le dernier pasteur de ses montagnes, une rivalité de villes capitales, telles que Naples, Rome, Florence, Sienne, Pise, Bologne, Ferrare, Ravenne, Vérone, Gênes, Venise, Milan, Turin, ayant toutes et tour à tour concentré en elles l’activité, le génie, la poésie, les arts de la patrie commune, et pouvant toutes aspirer à la royauté intellectuelle d’une troisième Italie, voilà les explications de cette aristocratie indélébile de l’esprit humain au-delà des Alpes. […] II Quand une religion s’écroule dans la partie du monde qu’elle dominait, tout s’écroule avec elle. […] Les lettres périrent pour mille ans dans le choc des deux religions. […] Selon lui, Dante serait une espèce d’Ovide supérieur ; ses poèmes seraient des espèces de métamorphoses chrétiennes, racontant, chantant, expliquant tous les dogmes surnaturels de la religion nouvelle qui avait remplacé le paganisme.