Ils savaient que tous les nobles sentiments se touchent et s’engendrent, et que dans des cœurs où vibrent le sentiment religieux et les pensées mâles et indépendantes, leur tyrannie aurait à trouver des juges, et la liberté des complices. […] Qui m’aurait dit alors, que quinze ans plus tard, la poésie inonderait l’âme de toute la jeunesse française, qu’une foule de talents d’un ordre divers et nouveau, auraient surgi de cette terre morte et froide ; que la presse multipliée à l’infini ne suffirait pas à répandre les idées ferventes d’une armée de jeunes écrivains ; que les drames se heurteraient à la porte de tous les théâtres ; que l’âme lyrique et religieuse d’une génération de bardes chrétiens inventerait une nouvelle langue pour révéler des enthousiasmes inconnus ; que la liberté, la foi, la philosophie, la politique, les doctrines les plus antiques comme les plus neuves, lutteraient, à la face du soleil, de génie, de gloire, de talents et d’ardeur, et qu’une vaste et sublime mêlée des intelligences, couvrirait la France et le monde du plus beau comme du plus hardi mouvement intellectuel qu’aucun de nos siècles eût encore vu ? […] Les soldats et les mukres arabes, récitant des fragments belliqueux amoureux et merveilleux d’Antar, la poésie épique et guerrière des peuples nomades ou conquérants ; les moines grecs chantant les psaumes sur leurs terrasses solitaires, la poésie sacrée et lyrique des âges d’enthousiasme et de rénovation religieuse. […] La poésie sera de la raison chantée ; voilà sa destinée pour longtemps ; elle sera philosophique, religieuse, politique, sociale, comme les époques que le genre humain va traverser ; elle sera intime surtout, personnelle, méditative et grave ; non plus un jeu de l’esprit, un caprice mélodieux de la pensée légère et superficielle, mais l’écho profond, réel, sincère, des plus hautes conceptions de l’intelligence, des plus mystérieuses impressions de l’âme. […] Le livre n’est point un livre, ce sont des feuilles détachées et tombées presque au hasard sur la route inégale de ma vie et recueillies par la bienveillance des âmes tendres, pensives et religieuses.
Dupanloup, et elle s’est même risquée jusqu’à lancer une épître à l’illustre émir Abd-el-Kader, dont une fille, disait-on, venait de se faire religieuse et sœur de charité.