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1097. (1885) Le romantisme des classiques (4e éd.)

N’ayant pu y réussir, il crut devoir, à son corps défendant, la comprendre dans l’édition de ses œuvres complètes, en 1826, et alors il l’atténua le plus possible, corrigeant, rétractant, ou même falsifiant son ancien texte ou ses anciennes pensées, essayant de les accommoder à son nouveau rôle de ministre, de personnage officiel, d’homme monarchique et religieux. […] S’ils n’ont point comme nous d’autels, de sacrifices10, Pour le moins, comme Ibère ils n’ont point d’artifices : Ils disent franchement ce qu’ils pensent des dieux, Et l’autre en m’opprimant fait le religieux. […] De là aussi l’adoption du Cid par l’Église, et la couleur religieuse donnée au personnage dans le Romancero et jusque dans le drame de Guillem de Castro. Le Cid, dans cette pièce, n’est pas seulement le plus brave des chevaliers ; il en est aussi le plus religieux et le plus dévot, et, à un certain moment, le plus fervent des pèlerins. […] Né sous Henri IV, il avait pu connaître les derniers témoins et acteurs des guerres civiles et religieuses du seizième siècle, et s’entretenir quelquefois avec ces hommes, seuls survivants d’une génération batailleuse en théologie comme en politique, dont il transporta au théâtre la subtilité avec l’énergie et la flamme.

1098. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre troisième. La connaissance de l’esprit — Chapitre premier. La connaissance de l’esprit » pp. 199-245

La plupart des légendes, surtout les légendes religieuses, se forment de la sorte. — Un paysan dont la sœur était morte hors du pays m’assura qu’il avait vu son âme, le soir même de cette mort ; examen fait, cette âme était une phosphorescence qui s’était produite dans un coin, sur une vieille commode où était une bouteille d’esprit-de-vin. — Le guide d’un de mes amis à Smyrne disait avoir vu une jeune fille apportée en plein jour à travers le ciel par la force d’un enchantement ; toute la ville avait été témoin du miracle ; après quinze heures de questions ménagées, il fut évident que le guide se souvenait seulement d’avoir vu ce jour-là un petit nuage dans le ciel. — En effet, ce qui constitue le souvenir, c’est le recul spontané d’une représentation qui va s’emboîter exactement entre tel et tel anneau dans la série des événements qui sont notre vie. […] Au contraire, si, durant la période convenable du sommeil hypnotique, on leur suggérait le nom d’un roi, non seulement ils étaient poussés à dire que c’était le leur, mais ils sentaient et agissaient d’une manière qui témoignait de leur conviction qu’ils étaient rois. » Au lieu d’être passager, cet état peut être fixe ; il est fréquent dans les hospices, et on le rencontre souvent dans les époques d’exaltation religieuse. — Un quartier-maître dans l’armée de Cromwell, James Naylor, se crut Dieu le Père, fut adoré par plusieurs femmes enthousiastes, jugé par le Parlement et mis au pilori. — Dans les asiles, on trouve des fous qui se croient Napoléon, ou la Vierge Marie, ou le Messie, ou tel autre personnage. […] Répétée incessamment, chaque jour plus vive, entretenue par une passion maîtresse, par la vanité, par l’amour, par le scrupule religieux, soutenue par de fausses sensations mal interprétées, confirmée par un groupe d’explications appropriées, elle prend l’ascendant définitif, annule les souvenirs contradictoires ; n’étant plus niée, elle se trouve affirmative ; et le roman, qui d’abord avait été déclaré roman, semble une histoire vraie. — Ainsi notre idée de notre personne est un groupe d’éléments coordonnés dont les associations mutuelles, sans cesse attaquées, sans cesse triomphantes, se maintiennent pendant la veille et la raison, comme la composition d’un organe se maintient pendant la santé et la vie.

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