Je l’ai dit : un esprit spéculatif, que des événements plus forts que ses penchants, des passions plus fortes que sa raison, avaient jeté dans une carrière d’intrigue et d’action. […] Il admirera la vérité cherchée avec l’âpre sagacité d’un homme d’esprit qui a été dupe, avec l’ardeur d’un honnête homme qui se venge de ses passions par sa raison. […] Il n’a pas voulu voir la vérité dans Pascal, parce que cette vérité, marquée de l’esprit du christianisme, n’est que la mise en état de suspicion de la raison, à laquelle Voltaire avait donné l’infaillibilité. […] Il en faut lire avec d’autant plus d’attention et de confiance la dernière édition, soit pour les maximes ainsi modifiées, qui marquent le point où la raison du moraliste s’est dégagée tout à fait des rancunes et des arrière-pensées de l’homme, soit pour les maximes dont il a gardé la rédaction primitive. […] Malgré le désintéressement qui lui fit retrancher toutes les maximes trop particulières, et toutes les généralités hasardées, le malaise de sa vie à cette époque, ses froissements personnels, ses luttes, sa passion pour Mme de Longueville, à laquelle il eût sacrifié l’Etat, lui avaient fait un fond d’humeur qui s’épancha dans ses pensées et attrista sa raison d’une manière irréparable.
La trace de ces premiers pas est souvent effacée, l’organisation de ces premières sociétés a entièrement disparu ; mais ce qui n’a point péri, c’est l’influence encore subsistante de toutes les origines, de toutes les raisons d’être. […] Une génération ne commence pas et ne finit pas dans un désert : aucun fait n’est isolé ; rien, en un mot, n’existe de soi et sans raison de son existence. […] Les livres de l’Ancien Testament sont à la fois historiques et symboliques : ce double attribut a épouvanté la raison de nos sages. […] Pour le remarquer en passant, Plutarque a épuisé, dans ce beau traité, toutes les raisons qui peuvent porter la Divinité à retarder la punition des coupables ; il n’en a omis qu’une, et la meilleure de toutes, le respect que Dieu s’est imposé pour la liberté de l’homme. […] Il en est ainsi de toutes les idées qui auraient le plus choqué la raison humaine dans le christianisme.