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1258. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre V : Règles relatives à l’explication des faits sociaux »

On accorde que, quand les individus sont associés, leur association peut donner naissance à une vie nouvelle mais on prétend qu’elle ne peut avoir lieu que pour des raisons individuelles. — Mais, en réalité, aussi loin qu’on remonte dans l’histoire, le fait de l’association est le plus obligatoire de tous ; car il est la source de toutes les autres obligations. […] Mais ce résultat heureux n’est pas sa raison d’être immédiate. […] Ce n’est pas sans raison qu’on a pu dire du moi qu’il était lui-même une société, au même titre que l’organisme, quoique d’une autre manière, et il y a longtemps que les psychologues ont montré toute l’importance du facteur association pour l’explication de la vie de l’esprit. […] Les règles que nous venons d’exposer permettraient, au contraire, de faire une sociologie qui verrait dans l’esprit de discipline la condition essentielle de toute vie en commun, tout en le fondant en raison et en vérité. […] Voilà dans quel sens et pour quelles raisons on peut et on doit parler d’une conscience collective distincte des consciences individuelles.

1259. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — I. » pp. 204-223

Né à Dinan en Bretagne, le 12 février 1704, d’une honnête famille de commerçants, le dernier venu des enfants, il fut l’objet des soins de sa mère veuve, personne de mérite, de raison, qui ne mourut qu’à plus de cent ans, et quelques années seulement avant son fils. […] Un jour que Boindin, très raisonnable dans le tête-à-tête, mais paradoxal en public, en était venu, dans je ne sais quelle discussion, à soutenir comme vraisemblable la pluralité des dieux, Duclos tout d’un coup se mit à rire, et comme Boindin, lancé en pleine éloquence, lui en demandait la raison, Duclos pour toute réponse lui dit que c’était qu’en soutenant cette pluralité des dieux, il lui avait rappelé l’avare qui est plus prodigue qu’un autre quand une fois il se met en frais : « Il n’est chère que de vilain ». […] Quant au conte même, je ne sais si l’on en pouvait faire un bon sur un pareil thème : quoi qu’il en soit, il y manque ce je ne sais quoi qui fait le charme du genre, soit la bonhomie d’un Perrault, soit la légèreté d’un Hamilton, soit, à plus forte raison, la poésie d’un Arioste. […] Le Français, selon lui, a un mérite distinctif : « Il est le seul peuple dont les mœurs peuvent se dépraver sans que le cœur se corrompe et que le courage s’altère. » Il voudrait voir l’éducation publique se réformer et s’appliquer mieux désormais aux usages et aux emplois multipliés de la société moderne ; il prévoit à temps ce qui serait à faire, et, connaissant le train du monde, il craint toutefois qu’on ne le fasse pas à temps : « Je ne sais, dit-il, si j’ai trop bonne opinion de mon siècle, mais il me semble qu’il y a une certaine fermentation de raison universelle qui tend à se développer, qu’on laissera peut-être se dissiper, et dont on pourrait assurer et hâter les progrès par une éducation bien entendue. » Duclos veut une réforme en effet, et non point une révolution.

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