Sully, dans son château, se fait donc raconter et ramentevoir par ses quatre secrétaires les choses qu’il sait mieux qu’eux et qu’il leur a racontées ou laissé lire ; fidèle, même dans la familiarité, à son goût de hauteur et d’appareil, il se fait renvoyer ses souvenirs sous forme cérémonieuse, obséquieuse, et, pour ainsi dire, à quatre encensoirs ; il assiste sous le dais et prête l’oreille avec complaisance à ses propres échos. […] Le pédantisme déjà suranné de ces recherches et de ces gentillesses d’impression fait bien pendant à ce qu’on raconte du costume de Sully lorsqu’il reparut un jour, avec ses habits à la vieille mode, en pleine cour de Louis XIII.
Car, tandis qu’il est là, tout blessé, à défendre vaillamment le petit pont qu’on reconnaît encore aujourd’hui sur les lieux et qu’il a rendu célèbre, tandis qu’entre son cousin le comte de Soissons à main droite et monseigneur Pierre de Neuville à gauche, il couvre de son mieux la position menacée du roi, Joinville nous raconte comment ils ont fort à faire pour résister à ces vilains Turcs et à d’autres gens du pays (de vrais vilains et paysansw) qui les viennent assaillir de feu grégeois et de coups de pierres : et quand il y avait une trop grande presse de ces vilains Sarrasins à pied, le comte de Soissons et lui (qui n’était blessé, dit-il, qu’en cinq endroits et son cheval en quinze) piquaient des deux et les chargeaient d’importance : « Le bon comte de Soissons, en ce point-là où nous étions, se moquait à moi et me disait : “Sénéchal, laissons huer cette canaille ; car, par la coiffe-Dieu (c’était ainsi qu’il jurait), encore en parlerons-nous de cette journée dans les chambres des damesx.” » Voilà bien un propos noble et militaire. […] Joinville avoue que, pour lui, en un tel moment, il aurait cherché en vain de quoi se confesser, il ne se souvenait d’aucun péché ; il se contente de faire le signe de la croix et s’agenouille devant un des Sarrasins qui tient une hache, en disant : « Ainsi mourut sainte Agnès. » Cependant un chevalier, son voisin, qui se souvient mieux de ses péchés, se met, faute de prêtre, à se confesser à lui Joinville, et celui-ci, après l’avoir entendu, prononce la formule : « Je vous absous de tel pouvoir comme Dieu m’a donné. » — « Mais quand je me levai de là. ajoute-t-il avec innocence, il ne me souvint plus jamais de chose qu’il m’eût dite ni racontée. » J’omets quantité d’anecdotes caractéristiques de cette croisade et qui sont devenues célèbres depuis Joinville. […] Joinville y vint sans savoir d’abord pourquoi il était appelé, et à ce propos il eut un songe qu’il nous raconte et que son chapelain lui expliqua.