Il avait pris pour thèse que, chez tout le monde, sans exception, tous les sentiments et toutes les impressions dépendent du bon et du mauvais état de l’estomac, et il racontait, à l’appui, l’histoire d’un mari de ses amis qu’il avait emmené dîner chez lui, le soir de la mort de sa femme, une femme qu’il adorait. — Il lui avait servi un morceau de bœuf, lorsque le mari tendit son assiette et avec une douce imploration de la voix, lui demanda : « Un peu de gras ! […] » Puis il parle haschich, visions, excitations cérébrales à la mode en 1830, nous raconte qu’il a écrit Militona, en dix jours, grâce à des granules, pris en deux doses de cinq, le soir et le matin, et qui lui donnèrent une merveilleuse lucidité. […] Tout le dîner se passe à chercher le moyen de faire raconter par M. de Pongerville, ses deux uniques histoires : son entrevue avec Louis XVIII et son entrevue avec Millevoye, — de manière à lui gagner sa voix pour Gautier.
On raconte que cette passion était si forte dans ce jeune homme qu’elle brisa avec violence tous les pièges tendus par sa famille pour le retenir, et qu’il poursuivit, un tison enflammé dans la main, une jeune fille d’une merveilleuse beauté que ses frères lui avaient fait apparaître dans sa chambre pour séduire ses yeux et son cœur. […] Aussi, dès le paganisme, les grandes compositions orientales, comme le Mahabarata ; les cycles grecs, comme ceux d’Hercule, de Thésée, d’Orphée, d’Ulysse, de Psyché ; les épopées latines de Virgile, de Lucain, de Stace, de Silius Italicus ; et enfin ces ouvrages qu’on peut nommer des poèmes philosophiques, la République de Platon et celle de Cicéron, eurent leurs voyages aux cieux, leurs descentes aux enfers, leurs nécromancies, leurs morts ressuscités ou apparus pour raconter les mystères de la vie future. […] Comme lui je veux faire le pèlerinage des trois mondes… Mais, tandis que Virgile abandonne son disciple avant la fin de sa course, Dante, lui, m’accompagnera jusqu’aux dernières hauteurs du moyen âge, où il a marqué sa place, et celle qui est pour moi Béatrice m’a été laissée sur cette terre pour me soutenir d’un sourire et d’un regard, pour m’arracher à nos découragements, et pour me montrer sous sa plus touchante image la puissance de l’amour chrétien dont je vais raconter les œuvres... » XXX Bientôt après, chassé par la langueur croissante de la maladie de place en place pour retremper sa vie dans un rayon de soleil, Ozanam écrivait de Pise cette page en marbre, ces lignes du 23 avril 1853, véritable psaume d’agonie chanté sur les tombes du Campo santo.