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1696. (1880) Goethe et Diderot « Diderot »

Ils n’ont pas d’invention réelle, pas de forte composition, pas de relief, pas de couleur, pas de caractères, pas d’art enfin. […] L’Encyclopédie est, dans l’ordre de la pensée et de l’érudition philosophiques, ce que furent, dans l’ordre de l’art, les cathédrales du moyen âge, — mais avec cette formidable différence que le sentiment qui animait les grands artistes du moyen âge a eu beau perdre de son énergie, de sa profondeur et de sa beauté dans le cœur des nations modernes, les magnifiques chefs-d’œuvre qu’on leur doit n’en existent pas moins à l’état de chefs-d’œuvre, enlevant d’admiration ceux qui les contemplent, tandis que l’Encyclopédie, dont on croyait faire quelque chose comme une cathédrale de Cologne ou de Strasbourg de l’impiété, ne fait plus guères l’effet que d’une masse informe, incohérente, sans grandeur réelle, dont se détournent également à cette heure l’imagination et la raison des hommes.

1697. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

Le propre de l’esprit humain est de ne point s’arrêter au réel, et de passer de là au possible qu’il suppose. […] La poésie, s’emparant de cette magie naturelle, invente des illusions nobles et agréables, quand les sciences ne trouvent que des lacunes et du vide : de sorte qu’elles n’ont point d’arguments raisonnables contre la puissance réelle des fictions sur la multitude enchantée par les mensonges, parce que les fables poétiques se placent, comme les religions, là même où les systèmes des savants ne mettent plus rien. […] On pourrait pousser ces parallèles plus loin, mais suspendons-les, et remarquons seulement que, dans tous les genres, la prose retrace le réel, et que les vers le traduisent par les figures, et le mêlent à l’imaginaire. […] La tragédie historique se compose des faits réels, et des vrais caractères qui ont brillé dans les annales du monde : elle n’a le droit d’imaginer que les motifs présumables, les circonstances ignorées qui purent causer les actions connues qu’elle représente. […] Le dessin de ses caractères est si correct, et déterminé si solidement, qu’on ne saurait plus oublier les images des hommes qu’il fit agir et parler : on se ressouvient d’elles comme de personnes réelles et vivantes qu’on aurait vues dans le monde.

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