Ce sont des contrastes vrais, des contrastes tirés des entrailles mêmes de la réalité. […] » Le sujet est beau, en effet, à la condition qu’on le prenne comme Dumas le prend dans ce chef-d’œuvre qui s’appelle L’Ami des femmes, c’est-à-dire qu’on y voie ce qui y est, en effet, ce qui peut y être dans la réalité des choses. Cette réalité des choses, supposez que mon homme l’écarte de parti pris, repousse loin du sujet tout ce qui donne au sujet de la consistance, tout ce qui le remplit, tout ce qui le constitue, tout ce qui fait qu’il est. […] Oui, malgré leur grand goût pour la réalité, et leur puissance d’observation, les artistes du dix-septième siècle ont aimé le développement didactique et le développement oratoire, tous (sauf La Fontaine) et Racine autant que Boileau, et Molière autant que Racine. […] Mais dès qu’on a passé cinq ou six mois ensemble L’illusion fait place à la réalité.
Chez Molière, la réalité, observée de loin ou de près, subissait cette transformation imposée à toute œuvre d’art ; mais elle se transformait dans le sens de la vérité, parce que le génie et la vérité sont frère et sœur, et que d’irrésistibles affinités les ramènent sans cesse l’un vers l’autre. […] On le proclame aujourd’hui le chef des réalistes ; mais, ou le mot réalisme est vide de sens, ou il signifie le sentiment de la réalité ; et la réalité, à son tour, ne m’offre pas une idée bien nette, si je ne la définis le côté de la vérité accessible par en bas. Or, maintenant, si M. de Balzac, comme vous le dites, possédait si bien le sentiment de cette réalité, de cette vérité, comment se fait-il que, dès qu’il se trouvait en présence d’un public rassemblé, il n’y eût plus moyen de s’entendre ? […] Mais qu’était-ce donc que Lacenaire, sinon Vautrin passant du domaine de la fiction dans celui de la réalité, et protestant par trois ou quatre assassinats contre les vices de l’organisation sociale ? […] La première condition du roman historique, c’est le lointain ; c’est que les événements ou les acteurs fournis par l’histoire et servant de trame solide à une broderie romanesque soient séparés de nous par un intervalle assez grand pour que la fiction et la réalité puissent se fondre, pour que le roman soit le complément, et non pas le démenti de l’histoire.