Il n’y a pas du reste besoin de grand effort pour extraire le comique de la réalité. […] Ils essaient donc de modeler la réalité sur leur idéal ; leurs écrits sont des actes qui poussent dans le sens de leurs désirs et de leurs opinions. […] Il faut dire encore que la pensée devient plus hardie et plus franche ; qu’elle soumet au contrôle de la raison les traditions les plus accréditées ; qu’elle réduit, par le contact étroit avec les réalités, la part du merveilleux, du romanesque, du préjugé ; qu’elle juge avec une entière indépendance les hommes et les doctrines ; qu’elle est d’ailleurs dans un perpétuel état de fermentation qui produit pêle-mêle des rêveries, des utopies, des chimères, mais aussi des idées neuves et des projets viables. […] C’est la possibilité reconquise de tout dire, de mouler la phrase sur la réalité même, de reproduire la vie dans sa complexité, et, au besoin, dans sa nudité.
C’est le paradoxe de la douleur, de la misère et de la mort ; c’est le défi à toute réalité. […] » XVI La vraie philosophie, la philosophie virile, la philosophie expérimentale est donc celle qui, au lieu de correspondre à ces rêves, correspond à la réalité de notre triste condition humaine et mortelle ici-bas, c’est-à-dire la philosophie de la douleur ! La philosophie de la douleur sanctifiée par l’acceptation et consolée par l’espérance, c’est la philosophie des Indes, de Brahma, de Bouddha, de Confucius, de Platon, du christianisme ; c’est celle qui nous a toujours paru, dès notre première dégustation de la vie, contenir le plus de vérité, de réalité, de beauté, de révélation, de force, de grandeur, de vertu, d’espérance, d’encouragement à vivre, à aimer, à espérer, à agir. […] XIX Mais, dès les âges les plus reculés aussi, une autre philosophie, la philosophie de la réalité, la véritable expression de l’homme complexe, âme et corps, une philosophie qui est raison et religion tout ensemble, vérité et consolation à la fois, une philosophie dont on retrouve les dogmes et les préceptes dans les premiers monuments littéraires de l’Inde, a réfléchi au lieu de rêver, et a trouvé dans la douleur même les deux seuls remèdes à la douleur : l’acceptation et la sanctification.