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557. (1903) Hommes et idées du XIXe siècle

Lorsqu’elle connaît les conditions de cette paix, elle s’étonne que l’Angleterre rende tout à une puissance qu’elle a constamment battue sur mer. […] Elle est une puissance ; et sa puissance est celle de l’opinion. […] L’influence de ce maître est celle qui, depuis trente ans, s’est répandue de la façon la plus générale, exercée avec le plus de puissance et de continuité. […] Il avait le respect des puissances établies. […] Après sa mort, cette nature hémorragique attesta encore sa puissance.

558. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre I. Succès de cette philosophie en France. — Insuccès de la même philosophie en Angleterre. »

Il semble qu’il suffise de les nommer ; l’Europe moderne n’a pas d’écrivains plus grands ; et pourtant il faut regarder de près leur talent, si l’on veut bien comprendre leur puissance  Pour le ton et les façons, Montesquieu est le premier. […] Leur expérience complétait le livre, et, par la collaboration de ses lecteurs, l’auteur avait la puissance qui lui manque aujourd’hui. […] Ce sont là les grandes puissances littéraires du siècle. […] Joignez à cela un double sens perpétuel, l’auteur caché derrière ses personnages, la vérité mise dans la bouche d’un grotesque, des malices enveloppées dans des naïvetés, le maître dupé, mais sauvé du ridicule par ses belles façons, le valet révolté, mais préservé de l’aigreur par sa gaieté, et vous comprendrez comment Beaumarchais a pu jouer l’ancien régime devant les chefs de l’ancien régime, mettre sur la scène la satire politique et sociale, attacher publiquement sous chaque abus un mot qui devient proverbe et qui fait pétard491, ramasser en quelques traits toute la polémique des philosophes contre les prisons d’État, contre la censure des écrits, contre la vénalité des charges, contre les privilèges de naissance, contre l’arbitraire des ministres, contre l’incapacité des gens en place, bien mieux, résumer en un seul personnage toutes les réclamations publiques, donner le premier rôle à un plébéien, bâtard, bohème et valet, qui, à force de dextérité, de courage et de bonne humeur, se soutient, surnage, remonte le courant, file en avant sur sa petite barque, esquive le choc des gros vaisseaux, et devance même celui de son maître en lançant à chaque coup de rames une pluie de bons mots sur tous ses rivaux  Après tout, en France du moins, l’esprit est la première puissance.

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