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514. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Achille du Clésieux »

Mais ce que je sais, et surtout ce que je veux voir, c’est le poème en soi, — et non pas l’accueil du public. […] il en est si près, que le critique, très bienveillant pour l’auteur, dont j’ai parlé en commençant,  Armand de Pontmartin, estime que l’amant d’Armelle, ce héros de la vie privée, qui a ses héros comme la vie publique, diminue, dans l’intérêt que lui porte le lecteur, précisément de ce qui fait son héroïsme… Oui ! […] Une pareille opinion, dont il m’est impossible de ne pas m’étonner venant de la plume qui l’exprime, aurait peut-être sa valeur si le poème d’Armelle, au lieu de s’adresser aux âmes, une à une, dans l’intimité de chacune d’elles, était une œuvre dramatique, s’adressant à un public en masse, c’est-à-dire à cette moyenne d’esprits qui ne regardent comme vraisemblables et touchants que les sentiments dont ils sont capables. […] Les poètes que Lamartine a inspirés, — car tout grand poète fait semence de poètes, — les Élisées qui ramassent le manteau du prophète et qui cherchent à s’entortiller dans ses plis d’azur et de lumière, ceux, enfin, que j’appelle les lamartiniens, — comme, par exemple, le poète d’Armelle, — ont contre eux maintenant le goût public, qu’ils ont eu pour eux si longtemps.

515. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XIX » pp. 76-83

Par suite de la même activité, qui se porte actuellement sur de l’inédit, Cousin a publié ses Fragments littéraires, anciens discours académiques, ou éloges mortuaires, auxquels il a ajouté pour assaisonnement les lettres inédites de madame de Longueville (chassant ainsi sur mes terres et me tuant sans façon mon gibier) ; il a ajouté un petit commentaire à ces lettres, dont il s’est, je crois, exagéré un peu l’importance littéraire ; comme étude d’âme et de confessionnal, c’est curieux, (et j’en avais tiré parti dans mon étude). « Au fond, il n’y a de véridique, dit-il, si quelque chose l’est entièrement, que les correspondances intimes et confidentielles, les mémoires eux-mêmes sont toujours destinés au public, et ce regard au public, même le plus lointain, gâte tout ; on s’y défend ou on attaque, on se compose un personnage, on pense à soi, on ment. » — Ceci est dit à merveille comme Cousin sait dire, dans sa langue excellente et digne du xviie  siècle ; mais que serait-ce si on appliquait cette vérité à son éclectisme officiel, qu’il défendait et qu’il préconisait hier tout en attaquant Pascal ? […] Son silence par cause de rhume est devenu une calamité publique.

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