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632. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Qu’est-ce qu’un classique ? » pp. 38-55

Le propre de cette théorie, qui subordonne l’imagination et la sensibilité elle-même à la raison, et dont Scaliger peut-être a donné le premier signal chez les modernes, est la théorie latine à proprement parler, et elle a été aussi de préférence pendant longtemps la théorie française. […] Faisons notre choix dans nos propres instincts. Ayons la sincérité et le naturel de nos propres pensées, de nos sentiments, cela se peut toujours ; joignons-y, ce qui est plus difficile, l’élévation, la direction, s’il se peut, vers quelque but haut placé ; et tout en parlant notre langue, en subissant les conditions des âges où nous sommes jetés et où nous puisons notre force comme nos défauts, demandons-nous de temps en temps, le front levé vers les collines et les yeux attachés aux groupes des mortels révérés : Que diraient-ils de nous ? […] Enfin, que ce soit Horace ou tout autre, quel que soit l’auteur qu’on préfère et qui nous rende nos propres pensées en toute richesse et maturité, on va demander alors à quelqu’un de ces bons et antiques esprits un entretien de tous les instants, une amitié qui ne trompe pas, qui ne saurait nous manquer, et cette impression habituelle de sérénité et d’aménité qui nous réconcilie, nous en avons souvent besoin, avec les hommes et avec nous-même.

633. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 24, des actions allegoriques et des personnages allegoriques par rapport à la peinture » pp. 183-212

Ils les caracterisent à leur mode et ils leur donnent les attributs qu’ils croïent les plus propres à les faire reconnoître. […] Les peintres sont poëtes, mais leur poësie ne consiste pas tant à inventer des chimeres ou des jeux d’esprit, qu’à bien imaginer quelles passions et quels sentimens l’on doit donner aux personnages suivant leur caractere et la situation où l’on les suppose, comme à trouver les expressions propres à rendre ces passions sensibles et à faire deviner ces sentimens. […] C’est l’image veritable de ce qu’on vit arriver dans cette guerre où les conquerans furent surpris eux-mêmes de leurs propres succez. […] On merite le nom de poëte en rendant l’action qu’on traite capable d’émouvoir, ce qui se fait en imaginant quels sentimens conviennent à des personnages supposez dans une certaine situation, et en tirant de son genie les traits les plus propres à bien exprimer ces sentimens.

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