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623. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Molière »

Pour le roi, pour la cour et les fêtes de commande, pour le plaisir du gros public et les intérêts de sa troupe, pour sa propre gloire et la sérieuse postérité, Molière se multiplie et suffit à tout. […] Mais Molière s’y complut bien vite et s’y exalta comme éperdument ; il fit même des ballets et intermèdes au Malade imaginaire, de son propre mouvement, et sans qu’il y eût pour cette pièce destination de cour ni ordre du roi. […] J’ai cherché à soutenir ailleurs que chaque esprit sensible, délicat et attentif, peut faire avec soi-même, et moyennant le souvenir choisi et réfléchi de ses propres situations, un bon roman, mais un seul ; j’en dirai presque autant du drame. […] Montfleury adressa même à Louis XIV une dénonciation contre l’illustre comique, l’accusant d’avoir épousé la fille après avoir vécu avec la mère, et insinuant par là qu’il avait pu épouser sa propre fille : ce qui, dans tous les cas, serait invinciblement réfutable par les dates. […] Le jugement qui suit, sur Walter Scott, revient assez naturellement ici : « C’était, dans le roman, un de ces génies qu’on est convenu d’appeler impartiaux et désintéressés, parce qu’ils savent réfléchir la vie comme elle est en elle-même, peindre l’homme dans toutes les variétés de la passion ou des circonstances, et qu’ils ne mêlent en apparence à ces peintures et à ces représentations fidèles rien de leur propre impression ni de leur propre personnalité.

624. (1856) Cours familier de littérature. I « IIIe entretien. Philosophie et littérature de l’Inde primitive » pp. 161-239

Sa troisième pensée est de lui construire un acte de foi et un culte ; sa quatrième pensée est de déduire de cette foi, de ce culte et de sa propre conscience, une morale ou un code du bien et du mal conforme, le plus possible, à l’idée que l’homme se fait de ce qui plaît ou de ce qui déplaît à l’Être des êtres. […] Il faut n’avoir lu sérieusement ni une page des annales des siècles, ni une page de son propre cœur, pour se complaire à ce songe doré de vieux enfants. […] « Enfin, est-ce que la sagesse et la bonté divines auraient voulu donner à l’homme le mérite et la gloire d’achever, pour ainsi dire, sa propre création par l’exercice douloureux et méritoire de sa liberté morale, en l’assujettissant ici-bas à des épreuves pénibles et mystérieuses qui, bien ou mal subies pendant cette courte vie, le ramèneraient vaincu à de nouvelles épreuves, vainqueur à la conquête de sa propre félicité ? […] Participer soi-même à sa propre perfection, n’est-ce pas la perfection suprême ? […] Ton juge sera ton consolateur, ton éternité compensera ta minute ; souffre pour justifier ta race coupable, ou souffre pour conquérir ta propre félicité ; et, dans l’une ou l’autre hypothèse, bénis ! 

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