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490. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Féletz, et de la critique littéraire sous l’Empire. » pp. 371-391

Je voulais depuis longtemps savoir à quoi m’en tenir sur les quatre critiques célèbres du Journal de l’Empire, desquels je ne connaissais qu’un seul : je m’adressai à celui-ci, à M. de Féletz lui-même ; je lui demandai, un jour, son propre jugement sur ses anciens collaborateurs, et il me l’exposa en termes pleins de justesse et avec le sentiment des nuances. […] C’est énerver, prétend Geoffroy, la critique littéraire que d’aller chercher des circonlocutions pour exprimer des défauts qu’on peut très clairement spécifier d’un seul mot : appliqué à la personne, ce mot serait une injure ; appliqué à l’ouvrage, c’est le mot propre[…] Il avait reconnu Dussault sous le masque, mais il répondit mal ; au lieu de se disculper sur les articles essentiels, il s’exalta lui-même, il parla avec emphase de ses ennemis : Jusqu’ici, s’écriait-il, j’avais aisément repoussé les traits lancés du dehors ; mais, pour la première fois, j’ai eu affaire à des ennemis maîtres de la place, ils m’attaquaient dans l’intérieur même du journal, au sein de mes foyers ; ma propre maison était devenue leur arsenal et leur citadelle. Il s’appliquait aussi, à propos de ces attaques qu’on insérait contre lui dans son propre journal, ce que disait Louis XIV d’un courtisan qui critiquait Versailles ou Marly : « Il est étonnant que Villiers ait choisi ma maison pour en dire du mal. » Geoffroy commençait à s’entêter de lui-même et de son importance, ce qui est un signe de faiblesse. […] Ces dehors aimables cachaient une fermeté qui est le propre de cette race des hommes du xviiie  siècle.

491. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mme du Châtelet. Suite de Voltaire à Cirey. » pp. 266-285

Pourquoi, d’ailleurs, faire dépendre sa tranquillité d’un autre, et cela sans nécessité, par la sotte vanité (car je ne puis falsifier le mot propre) de montrer, à quelqu’un qui n’en est pas juge, un ouvrage où il ne verra que de l’imprudence ? […] Mais le propre de l’illusion, c’est qu’elle est et qu’elle ne se donne pas. […] Quant aux lettres de Saint-Lambert, elles sont plutôt propres à faire valoir celles de la femme passionnée, mais non pas à justifier son goût pour lui. […] Il l’appelle « mon cher cœur », il la tutoie perpétuellement ; il parle de sa propre mélancolie avec prétention. […] Il prit d’abord un parti plus sage, qui était de venir à Paris causer de Mme du Châtelet avec d’Argental et le duc de Richelieu, et de se distraire en faisant jouer devant lui ses tragédies dans sa propre maison.

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