Je voulais depuis longtemps savoir à quoi m’en tenir sur les quatre critiques célèbres du Journal de l’Empire, desquels je ne connaissais qu’un seul : je m’adressai à celui-ci, à M. de Féletz lui-même ; je lui demandai, un jour, son propre jugement sur ses anciens collaborateurs, et il me l’exposa en termes pleins de justesse et avec le sentiment des nuances. […] C’est énerver, prétend Geoffroy, la critique littéraire que d’aller chercher des circonlocutions pour exprimer des défauts qu’on peut très clairement spécifier d’un seul mot : appliqué à la personne, ce mot serait une injure ; appliqué à l’ouvrage, c’est le mot propre. […] Il avait reconnu Dussault sous le masque, mais il répondit mal ; au lieu de se disculper sur les articles essentiels, il s’exalta lui-même, il parla avec emphase de ses ennemis : Jusqu’ici, s’écriait-il, j’avais aisément repoussé les traits lancés du dehors ; mais, pour la première fois, j’ai eu affaire à des ennemis maîtres de la place, ils m’attaquaient dans l’intérieur même du journal, au sein de mes foyers ; ma propre maison était devenue leur arsenal et leur citadelle. Il s’appliquait aussi, à propos de ces attaques qu’on insérait contre lui dans son propre journal, ce que disait Louis XIV d’un courtisan qui critiquait Versailles ou Marly : « Il est étonnant que Villiers ait choisi ma maison pour en dire du mal. » Geoffroy commençait à s’entêter de lui-même et de son importance, ce qui est un signe de faiblesse. […] Ces dehors aimables cachaient une fermeté qui est le propre de cette race des hommes du xviiie siècle.
Pourquoi, d’ailleurs, faire dépendre sa tranquillité d’un autre, et cela sans nécessité, par la sotte vanité (car je ne puis falsifier le mot propre) de montrer, à quelqu’un qui n’en est pas juge, un ouvrage où il ne verra que de l’imprudence ? […] Mais le propre de l’illusion, c’est qu’elle est et qu’elle ne se donne pas. […] Quant aux lettres de Saint-Lambert, elles sont plutôt propres à faire valoir celles de la femme passionnée, mais non pas à justifier son goût pour lui. […] Il l’appelle « mon cher cœur », il la tutoie perpétuellement ; il parle de sa propre mélancolie avec prétention. […] Il prit d’abord un parti plus sage, qui était de venir à Paris causer de Mme du Châtelet avec d’Argental et le duc de Richelieu, et de se distraire en faisant jouer devant lui ses tragédies dans sa propre maison.