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46. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre I. Le Bovarysme chez les personnages de Flaubert »

Aveuglant leur jugement, il les met en posture de prendre le change sur eux-mêmes et de s’identifier à leur propre vue avec l’image qu’ils ont substituée à leur personne. […] Il lui faut donc, après avoir falsifié sa propre sensibilité, falsifier les conditions extérieures auxquelles elle est soumise ; il lui faudra encore falsifier l’être intime de celui à qui elle décidera de faire tenir le rôle principal dans son rêve sentimental. […] Or parmi ces objets qu’elle est contrainte de transformer afin de les percevoir, figure son propre moi, sa propre personne. […] La haine du réel est à, vrai dire si forte chez Bovary, qu’elle pourrait la contraindra à répudier son propre rêve, s’il venait, par impossible, à prendre lui-même la forme d’une réalité. […] Avec elle, il a semblé que le phénomène apparaissait sous son aspect le plus universel et que, sous le jeu des mobiles et des circonstances qui semblent le déterminer, il révélait une source d’activité propre.

47. (1889) L’art au point de vue sociologique « Introduction »

Qu’est-ce à son tour que la métaphysique, qui paraît d’abord un exercice solitaire de la pensée, la réalisation de l’idéal érigé en Dieu par Aristote, — la pensée suspendant tout à ses propres lois et se repliant sur soi dans la pensée de la pensée ? […] Comme la métaphysique, comme la morale, l’art enlève donc l’individu à sa vie propre pour le faire vivre de la vie universelle, non plus seulement par la communion des idées et croyances, ou par la communion des volontés et actions, mais par la communion même des sensations et sentiments. […] Guyau répond à Flaubert qu’un être ainsi organisé échouerait au contraire dans l’art : « il faut croire en la vie pour la rendre dans toute sa force ; il faut sentir ce qu’on sent, avant de se demander le pourquoi et de chercher à utiliser sa propre existence. […] Le sentiment, avec son caractère communicatif et vraiment social, deviendra l’homme même, sa plus haute et dernière expression ; quant à son individualité propre, elle comptera pour peu de chose. […] Tel sentiment est plus vraiment nous que ce qu’on est habitué à appeler notre personne ; il est le cœur qui anime nos membres, et ce qu’il faut avant tout sauver dans la vie, c’est son propre cœur12. » Voilà pourquoi le savant, par exemple, fait tout naturellement « la science humaine avec sa vie ».

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