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466. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

Vainement on ouvre à cette imagination si puissante des horizons infinis ; l’aigle ne pousse pas son vol jusqu’à la sphère où l’air manque. […] Il poussera encore plus loin ses conquêtes ; il abattra aux pieds du Sauveur la majesté des faisceaux romains en la personne d’un proconsul, et il fera trembler dans leurs tribunaux les juges devant lesquels on le cite. […] Quoique touché des qualités des grands hommes du protestantisme, qu’il traite quelquefois comme des frères en savoir et en génie, leurs excès particuliers, l’orgueil qui les pousse à se distinguer les uns des autres par quelque imagination extraordinaire dans le dogme, lui ont fermé les yeux sur leur accord et leur conformité dans les points principaux, et sur le fond de raison qui leur conquérait l’assentiment des peuples. […] L’abbé de Chanterac du côté de Fénelon, l’abbé Bossuet du côté de l’évêque de Meaux, sont coupables, l’un d’avoir caressé l’orgueil secret que cachait à Fénelon sa piété même, l’autre d’avoir poussé Bossuet, soit à livrer des secrets qu’il aurait dû tenir ensevelis, soit à conseiller l’emploi de la menace pour arracher au saint-siège une prompte condamnation. […] C’en est une marque incomparable, qu’ayant les qualités qui peuvent pousser un homme à toutes les témérités de l’invention, un esprit hardi, fécond, dominateur, une subtilité à embarrasser un saint Augustin, une imagination à donner un corps et des couleurs à des ombres, il se soit rangé tout d’abord, comme le plus humble du troupeau, à la discipline commune, à la tradition.

467. (1923) L’art du théâtre pp. 5-212

Il devra transiger, il devra en rabattre — et, s’il passe outre, s’il veut contraindre l’instrument à pousser une note qui dépasse sa tessiture, s’il veut contraindre la matière à entrer dans une forme qui violente sa constitution, l’instrument, la matière se vengeront. […] Nous ne saurons jamais jusqu’où Racine eût poussé la dissociation des sentiments et, en conséquence, des personnages, si sa conversion, sa lassitude ou son dépit, n’eût interrompu son œuvre profane. […] Mais il l’a poussé à un point où imitation devient création, où le procédé devient poésie. […] Les œuvres poussent les œuvres ; l’arbre est en pleine sève. […] Ce n’est pas sa faute si le mouvement, tout empêtré dans le plus bas naturalisme, se banalisa sur le boulevard, au lieu de s’épurer et de pousser en profondeur, grâce à de véritables dramaturges.

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