Plus d’un contre-temps retarda ce projet formé de longue main, et il fallut y mettre bien de la volonté et de la suite pour que tout enfin pût s’ajuster. […] Qu’a-t-il donc fait, cet éloquent malheureux et persécuté, pour que la seconde moitié de notre xixe siècle semble se désintéresser si fort de lui ? […] Il n’est que de vivre et de durer un peu longtemps pour que toutes les variétés et les oppositions se produisent dans ce grand drame historique bigarré qui change sans cesse et qui lui-même se reflète en mille faces dans l’existence d’un chacun.
Mon âme souffrait en moi de ce contraste forcé entre un homme qui entre au théâtre, pour y chercher l’ivresse d’une jouissance, et ce même homme qui, plongé dans une mer d’angoisses, voudrait ramener son manteau sur ses yeux pour que personne ne pût lire sa tristesse sur son visage. […] IX Mais pour que le drame fût complet, il fallait qu’il fût retouché, transfiguré, idéalisé et pour ainsi dire sanctifié par une âme pure aussi pleine de divinité que l’âme de d’Aponte était pleine de souillure. […] Pendant que Leporello chantait l’introduction, Mozart dit, en riant, à ses voisins : « Quelques notes sont tombées sous les pupitres, néanmoins l’ouverture a bien marché. » XIV Le succès fut prodigieux à Prague ; Don Juan y devint si populaire, qu’on fut forcé de traduire le poème en langue allemande, pour que le peuple pût chanter dans son idiome les airs que son oreille musicale avait si bien retenus.