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1576. (1887) Essais sur l’école romantique

Si donc vous avez vu Notre-Dame sous tous les aspects de lumière, le matin, par un brouillard épais, quand elle est baignée de ces ténèbres grises et flottantes, lorsqu’on voit bien où elle commence, mais point où elle finit ; ou par un soleil levant, quand le premier rayon rampe le long des toitures de sa nef, et vient loucher le sommet de ses tours, et qu’elle est si grande alors, qu’il semble qu’elle va empêcher le jour d’arriver jusqu’à la terre ; si vous l’avez vue le soir, au coucher du soleil, dans ce magnifique vêtement d’or qui recouvre sa pierre noire, et qui se retire lentement, s’évanouit dans l’air, et la laisse nue et livide, comme un fantôme déshabillé ; si vous l’avez vue de nuit, et c’est de nuit qu’elle est la plus belle ; car, à cette heure où tous les siècles se ressemblent, elle redevient la Notre-Dame du moyen âge : si vous l’avez vue sous un ciel bas et chargé de pluie, percé çà et là d’une étoile solitaire, quand elle enfonce ses deux tours dans l’ombre, et qu’elle se mêle aux nuages, comme pour y recevoir quelque communication mystérieuse du ciel avec la terre ; et si, pour comble d’illusion, vous avez entendu le pas lointain et mesuré d’une patrouille qui vous ait rappelé le guet du moyen âge, vous possédez toute l’initiation nécessaire pour lire avec charme un roman qui a été fait pour Notre-Dame de Paris. […] Il n’y a qu’un point où je n’ai pas varié et où je ne varierai jamais, c’est que celui qui a écrit ce recueil possède un des plus rares et des plus merveilleux talents dont il puisse être parlé dans l’histoire des grands poètes. […] Victor Hugo, non point par le côté positif de l’homme, mais par le côté de l’écrivain que possède son imagination, ayant une sensibilité de cerveau et des passions de tête, surexcité par des habitudes de travail nocturne, riant sans gaieté, pleurant sans tendresse, s’exaltant sans enthousiasme, creusant moins les passions humaines, pour en tirer des secrets inconnus, que la langue française, pour en tirer des effets de style extraordinaires, tournant tout à l’image et au trait. […] C’est par l’amour et la crainte, ces deux sentiments très divers, mais également profonds, qu’une époque se donne à un écrivain supérieur et qu’un écrivain supérieur domine et possède son époque.

1577. (1891) Enquête sur l’évolution littéraire

Peut-être avais-je trop voulu croire jusqu’ici qu’à défaut des dons du génie, le moindre des écrivains possédait l’enthousiasme et l’amour désintéressé de l’art ? […] S’il possède les dons qui constituent tout grand caractère, il n’a nul besoin de se livrer à tant d’acrobaties pour que ce qu’il signe soit distingué. […] Ces opinions ne m’empêchent pas de croire, personnellement, qu’avec la merveilleuse science du vers, l’art suprême des coupes, que possèdent des maîtres comme Banville, l’alexandrin peut arriver à une variété infinie, suivre tous les mouvements de passion possible ; le Forgeron de Banville, par exemple, a des alexandrins interminables, et d’autres, au contraire, d’une invraisemblable concision. […] Sans doute possédée de ce démon qui incite à produire, la corporelle Beauté, se croyant indépendante, eut la curieuse envie d’imiter Dieu, de créer à son tour. […] Mais que l’on soit avant tout possédé de cette foi qui permettait à sainte Térèse de voir Dieu réellement dans l’hostie.

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