Gregoire de Nazianze rapporte l’histoire d’une courtisane qui, dans un lieu où elle n’étoit pas venuë pour faire des reflexions serieuses, jetta les yeux par hazard sur le portrait d’un Polémon philosophe fameux pour son changement de vie, lequel tenoit du miracle, et qui rentra en elle-même à la vûë de ce portrait.
Nous écrivions les scènes, les portraits, les paroles, à mesure que ses souvenirs, provoqués par nos questions, se retrouvaient et se déroulaient dans la mémoire du vieillard : c’étaient comme les notes du tableau historique et véridique que je me proposais de composer d’ensemble à mon retour. […] Je trouvai dans madame Lebas une femme de la Bible après la dispersion des tribus à Babylone, retirée du commerce des vivants dans le haut étage d’un appartement modique, conversant avec ses souvenirs, entourée des portraits de sa famille décimée au 18 fructidor, de ses sœurs dont Robespierre avait dû épouser la plus belle, de Robespierre lui-même dans tous ces costumes élégants dont il s’enorgueillissait de présenter le contraste sur sa personne avec la veste, le bonnet rouge, les sabots, signes sordides, flatteries ignobles des Jacobins à l’égalité et à la misère des populaces. Un magnifique portrait au pastel, de grandeur naturelle, de Saint-Just, ce Barbaroux des terroristes, cet Antinoüs des Jacobins, s’étalait dans un cadre d’or poudreux contre la muraille entre les rideaux du lit et la porte, objet d’un culte de souvenir de jeune fille pour le plus séduisant des disciples du tribun de la mort. […] Toutes les fois que le nom de Saint-Just revenait dans nos entretiens, l’accent s’amollissait, la physionomie s’attendrissait visiblement dans madame Lebas, et un regard d’enthousiasme rétrospectif s’élevait du portrait vers le plafond, comme un reproche muet au ciel d’avoir tranché quelque douce perspective, par la hache de 1794, avec cette tête d’ange exterminateur sur le buste d’un proscripteur de vingt-sept ans. […] C’est à ce soin minutieux et consciencieux de rechercher la vérité aux sources privées les plus rapprochées des acteurs, et par conséquent les plus naturellement partiales pour eux, que j’ai dû le reproche non pas d’avoir flatté, mais trop minutieusement reproduit les portraits les plus odieux des hommes les plus réprouvés parmi les tribuns sanguinaires du comité de salut public, et surtout de Robespierre, cette personnification de la Terreur.