Si vous me répondez qu’oui, le dernier de vos élèves vous démentira, et vous dira que vous avez fait un portrait. Mais s’il y a un portrait du visage, il y a un portrait de l’œil, il y a un portrait du cou, de la gorge, du ventre, du pié, de la main, de l’orteil, de l’ongle, car qu’est ce qu’un portrait, sinon la représentation d’un être quelconque individuel ? Et si vous ne reconnoissez pas aussi promptement, aussi sûrement, à des caractères aussi certains, l’ongle portrait que le visage portrait, ce n’est pas que la chose ne soit, c’est que vous l’avez moins étudiée ; c’est qu’elle offre moins d’étendue ; c’est que ses caractères d’individualité sont plus petits, plus légers et plus fugitifs. […] En serait-il moins vrai que par un œil microscopique, l’imitation rigoureuse d’un ongle, d’un cheveux, ne fût un portrait ? […] Ne convenez-vous pas que quand vous avez rendu fidèlement, et l’altération propre à la masse, et l’altération conséquente de chacune de ses parties, vous avez fait le portrait ?
— Parmi les portraits, il en est d’achevés, tel que celui d’Elmire ou la femme d’un esprit supérieur, qui n’est autre que la duchesse de Chaulnes. Quoique l’auteur ait dit dans une note que ce portrait est le seul qui s’applique réellement à une personne déterminée, je ne saurais croire que le portrait d’Ismène ou de la beauté sans prétention, à qui il n’a manqué pour être célèbre que de mettre enseigne de beauté ; que celui de Glycère, la femme à la mode, et qui « s’est fait jolie femme il y a vingt ans sans beauté, comme on se constitue homme d’esprit sans esprit, avec un peu d’art et beaucoup de hardiesse » ; — je ne puis croire que le portrait d’Herminie si entourée, si pressée d’adorateurs, si habile à les tenir l’un par l’autre en échec, et qui n’aime mystérieusement qu’un seul homme sans esprit, sans figure, qui n’est plus jeune, qui se porte très bien toutefois, et qui est… son mari ; — que le portrait d’Elvire, la femme de cinquante ans, qui s’avise soudainement d’un moyen de se rajeunir en s’attachant à un homme de soixante-quinze ; — que tous ces portraits si nets et si distincts n’aient pas eu leur application dans le monde d’alors. […] M. de Meilhan, qui a tracé les portraits de tant de personnages, en a laissé un de lui. Dans ces sortes de portraits personnels on ne se donne jamais trop de désavantages, même lorsqu’on a l’air de se dire des vérités. […] [NdA] Le portrait seul de M.