/ 2819
600. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Froissart. — II. (Fin.) » pp. 98-121

Ceci donc ne plut guère à messire Jean de Clermont de ce qu’il vît porter sa devise à messire Jean Chandos… De là les grosses paroles des deux héros qui en viendraient aux coups, n’était la trêve, et qui se donnent rendez-vous au lendemain. […] Mais c’est à la bataille du roi Jean que se portent désormais les grands coups. […] Or, qu’on sache, je vous prie, s’il pourrait supporter d’être amené ici ; et, s’il ne le peut, je l’irai voir. » Messire Jacques d’Audelée apprenant ce désir du prince, appelle huit de ses varlets et se fait porter par eux en sa présence : « Messire James, lui dit le prince, je vous dois bien honorer, car, par votre vaillance et prouesse, avez-vous aujourd’hui acquis la grâce et renommée de nous tous, et y êtes tenu par science certaine pour le plus preux. » Messire Jacques s’incline en disant qu’il ne pouvait faire moins sans honte, n’ayant fait qu’accomplir un vœu ; mais le prince insiste sur la louange : « Messire James, moi et tous les autres, nous vous tenons pour le meilleur de notre côté. » Et il le retient désormais pour son chevalier, lui octroyant cinq cents marcs de revenu par an. […] Je ne le dis point, sachez-le bien, cher Sire, pour vous railler, car tous ceux de notre parti qui ont vu les uns et les autres se sont par pleine science à cela accordés, et tous vous en donnent le prix et chapelet d’honneur si vous le voulez porter. » À ce moment, un murmure d’approbation se fit entendre, et tous, François et Anglois, se disoient entre eux que le prince avoit très noblement parlé et à propos ; et ils célébroient son éloge, et disoient qu’en lui il y avoit et il y auroit encore un gentil seigneur dans l’avenir s’il pouvoit longuement durer et vivre, et en cette fortune persévérerc.

601. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — II » pp. 57-80

Il fallait bien qu’il eût dans son amour-propre, et dans la manière dont il le portait, quelque chose qui choquait et offensait l’amour-propre des autres, pour qu’il ait excité, aux heures de ses succès militaires et de ses plus grands services, un déchaînement d’envie et une irritation telle qu’on en connaît peu d’exemples. « Mon fils, lui avait dit sa spirituelle mère quand il entra dans le monde, parlez toujours de vous au roi, et jamais aux autres. » Villars, a-t-on remarqué, ne suivit que la première moitié du conseil : il parlait constamment de lui devant tous et se citait en exemple dans les grandes comme dans les petites choses. — Après la paix de Riswick, le roi jugea à propos de l’envoyer à Vienne comme ambassadeur (1699-1701) ; le poste était important à cause de la question pendante de la succession d’Espagne, qui pouvait à tout moment s’ouvrir ; il s’agissait de négocier par précaution un traité de partage avec l’empereur, ce traité dût-il ne pas s’exécuter ensuite. […] Dans cette guerre du Rhin en particulier, Louis XIV avait besoin, en 1702, qu’on opérât une puissante diversion en faveur de l’électeur de Bavière, qui osait, au cœur de l’Allemagne, se déclarer pour lui, et qui était en danger, si on ne les partageait, d’avoir à porter le gros des forces de l’empire. […] Le fils aîné de l’empereur, le jeune roi des Romains a rejoint l’armée impériale devant Landau ; ce jeune prince, dans son ardeur de se signaler, peut se porter en avant et offrir une occasion : Rien n’est plus important, écrit Louis XIV à Catinat (2 août 1702), que de profiter de la vivacité de ce jeune prince, qui pourra l’entraîner à des mouvements dont un homme sage et d’une expérience consommée comme vous pourrait profiter ; mais, pour cela, il faudrait être à portée de lui… Je vous avoue que rieu ne me saurait tirer de la peine où je suis, que de vous voir déterminé à prendre un parti de vigueur. […] et quel malheur n’est-ce point de n’avoir pu tirer de la plus fière de toutes les nations, toujours victorieuse depuis le règne du plus grand roi qui ait jamais porté la couronne, un peu plus d’hommes capables de mener cette nation !

/ 2819