Fils de ce romantisme qui, en passant, a laissé partout une lave incandescente de vie qu’on n’éteindra plus, Féval ne procède jamais à la manière incolore de ce pauvre diable de Le Sage, à peu près poétique comme son nom, mais il n’en trouble pas moins la hiérarchie des choses, dans son système de roman, en mettant en premier l’intérêt des événements, qui devrait être le second, et en second l’intérêt des sentiments, qui est certainement le premier… Et ne croyez pas qu’il n’en ait point l’intelligence !
C’est le sujet qui doit modifier l’action théâtrale, & non la Poétique d’Aristote : la resserrer, lorsqu’elle est étendue, lorsqu’elle expose les débats d’un peuple entier ; c’est manquer à l’Art, à la vérité, à l’intérêt ; c’est sacrifier les plus grandes beautés à des règles qui ne font que détruire l’illusion en étouffant l’essor de chaque caractère. […] D’ailleurs on oppose une masse de vingt siécles à un siécle unique ; des Orateurs publics montés dans la Tribune aux harangues, à des avocats plaidans à la barre de la Cour ; des hommes libres dans une République, aux sujets d’un Monarque ; des langues hardies, poétiques, audacieuses, à une langue que l’Académie Françoise a fixée dans sa premiere enfance : & malgré ces obstacles, ces entraves, ces chaînes de toute espèce (je ne parlerai pas du siécle de Louis XIV, où les Auteurs étoient encouragés, protégés, pensionnés), je dirai que la fin seule du siécle de Louis XV, dans l’éspace de trente années, a produit des Ecrivains éclairés, sensibles, éloquens, vraiment patriotiques, qui ont droit d’être comparés aux anciens : vérité qui ne sera sentie que lors que les haines & l’orgueil des hommes contemporains seront ensevelis avec eux ; alors la justice & l’impartialité prononceront.