L’entretien s’animant à ce sujet, et continuant de parler de cette sorte de chanson et de son influence électrique sur les nations à certaines heures, Gœthe disait qu’il fallait pour cela qu’une nation n’eût qu’une tête et qu’un cœur et, à un moment donné, qu’une seule voix : « Mais, ajoutait-il, une poésie politique n’est aussi que l’œuvre d’une certaine situation momentanée qui passe et qui ôte à la poésie la valeur même qu’elle lui a donnée. » Il reconnaissait qu’il y avait seize ans, même dans cette Allemagne si divisée, mais unie alors dans un sentiment commun contre l’étranger, un poëte politique aurait pu exercer aussi son influence sur le pays tout entier, et il ajoutait : « Mais ce poëte était inutile : le mal universel et le sentiment général de honte avaient, comme un démon, saisi la nation ; le feu de l’inspiration qui aurait pu enflammer le poëte brûlait déjà partout de lui-même. […] Et ce sentiment se reproduisait encore avec bien de l’ampleur et de l’énergie dans ces paroles, lorsqu’il disait dans son aversion pour la politique étroite : « Dès qu’un poëte veut avoir une influence politique, il faut qu’il se donne à un parti, et, dès qu’il agit ainsi, il est perdu comme poëte ; il faut qu’il dise adieu à la liberté de son esprit, de son coup d’œil : il se tire jusque par-dessus les oreilles la chape de l’étroitesse d’esprit et de l’aveugle haine. Le poëte, comme homme, comme citoyen, doit aimer sa patrie ; mais la patrie de sa puissance poétique, de son influence poétique, c’est le Bon, le Noble, le Beau, qui n’appartiennent à aucune province spéciale, à aucun pays spécial, et qu’il saisit et développe là où il les trouve. […] Mais qu’on veuille y réfléchir : je le demande, Gœthe étant ce qu’il était par sa nature, par ses tendances, par la région élevée où habitait sa pensée, pouvait-il avoir une autre opinion sur le jeune et brillant poëte, dont il reconnaît d’ailleurs en maint endroit le grand talent d’imagination et la puissance ? […] Ce sentiment éternel d’opposition et de mécontentement a extrêmement nui à ses œuvres ; car non seulement le malaise du poëte se communique au lecteur, mais toute œuvre d’opposition est une œuvre négative, et la négation, c’est le néant.
La renommée posthume des poètes a aussi sa cinquantaine. […] Le poëte plus faible est souvent aussi, le dirai-je ? […] On s’aperçoit aisément, en y jetant les yeux, que le poëte diplomate redouble d’efforts, et que, novice en cela peut-être, il s’applique à justifier par son zèle la distinction dont il est honoré. […] S’il est absent aussi dans les idylles de Léonard, ce n’est pas que le poëte ne l’ait certainement aperçu. […] Au sortir de la Révolution, un homme de goût, un poëte gracieux, M.