Conduisez votre poème avec tout l’art imaginable : si les situations en sont froides et si la vraisemblance n’est pas dans le tout, vous n’intéresserez pas. […] Si le poète change les principales circonstances de l’action, que l’on suppose être un événement connu, son poème cesse d’être vraisemblable. […] Le nœud et le dénouement sont deux principales parties du poème épique et du poème dramatique. […] Voilà l’intrigue de son poème ; un anneau magique en fait le merveilleux ; une fête de village en amène le dénouement. […] Des pantomimes dans les entr’actes détournent l’attention due au poème, et font diversion aux idées tragiques.
Le respect même et la foi sans réserve qu’on prêtait aux anciennes légendes de Charlemagne ou de Guillaume au Court Nez suscitèrent de nouveaux poèmes d’un caractère plus strictement historique : non qu’on se fit une idée plus scientifique de la vérité, ou qu’on la cherchât par une méthode plus sévère, mais simplement parce que les faits, soit extraits de chroniques latines, soit fixés tout frais et encore intacts dans une rédaction littéraire, n’avaient point subi la préparation par laquelle l’imagination populaire forme l’épopée. […] Par malheur ces poèmes se continuent par des récits de plus en plus romanesques, extravagants et grossiers ; et quand ce n’est pas la fantaisie des auteurs qui falsifie l’histoire, c’est leur cupidité : il leur arrive de prendre de l’argent, des barons qui veulent être nommés dans leurs prétendues chroniques59. […] Ce sont tantôt de vastes chroniques, des sortes de poèmes cycliques, comme ce Roman de Brut, ou Geste des Bretons, et ce Roman de Rou, ou Geste des Normands, que rédigea non sans verve un chanoine de Bayeux, Wace (vers 1100-1175), et tantôt des histoires particulières ou des biographies, dont la plus remarquable est une vie anonyme de Guillaume le Maréchal, comte de Pembroke, qu’on a récemment retrouvée60. […] Des poèmes du xive siècle, comme le Combat des Trente et la Vie de Bertrand du Guesclin, sont des faits stériles dans l’histoire littéraire, et des faits insignifiants, dès lors qu’ils ne sont pas des œuvres de génie. […] Ce poème et ceux de Wace sont écrits en octosyllabes comme les romans bretons.