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36. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Essai sur Amyot, par M. A. de Blignières. (1 vol. — 1851.) » pp. 450-470

Ne prenant son Éloge d’Amyot distingué par l’Académie que comme un discours préliminaire, il a composé un livre tout plein de recherches et de dissertations sur les divers ouvrages d’Amyot, sur sa langue, sur sa vie ; il y discute tous les points qui ont prêté à la controverse et à la critique ; il s’applique à les éclaircir à l’avantage de son auteur, avec zèle, érudition et curiosité. […] Ce n’était à aucun degré un homme d’État qu’Amyot, c’était un homme d’étude, plein de diligence, de curiosité, de patience, et admirable par la façon étendue, agréable et ingénue avec laquelle il présentait les fruits de son labeur. […] M. de Chateaubriand en jugeait ainsi à son retour d’Orient, en les relisant la mémoire encore pleine du souvenir des plages historiques qu’il avait visitées : « C’est, selon moi, disait-il, le plus beau morceau de Plutarque, et d’Amyot son traducteur. » Dans les traités moraux de Plutarque, que de charmantes pages aussi, riches de sens, pleines d’aisance et de naturel, et qui ont un air de Montaigne ! […] On trouverait pourtant chez Amyot, parlant en son nom, quelques pages d’une éloquence douce et de vieillard ; mais sa force, son talent est ailleurs : il n’a son génie propre que quand il est porté par un autre et quand il traduit ; il n’est original et tout à fait à l’aise que quand il vogue dans le plein courant de pensée de l’un de ses auteurs favoris. […] Amyot, plus que personne, a aidé à cet établissement insensible et a préparé cette maturité de la langue par sa longue et pleine influence, et il l’a fait non seulement par pratique et par instinct, mais en se rendant compte aussi de ce qu’il voulait.

37. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Nouveaux voyages en zigzag, par Töpffer. (1853.) » pp. 413-430

Töpffer était né peintre, paysagiste, et son père l’était ; mais, forcé par les circonstances, et surtout par le mauvais état de sa vue, de se détourner de l’expression directe que réclamait son talent et où le conviait l’exemple paternel, il n’y revint que moyennant détour, à travers la littérature et plume en main : cette plume lui servit à deux fins, à écrire des pages vives et à tracer, dans les intervalles, des dessins pleins d’expression et de physionomie. […] Tobie Morel, tout en frappant de son bâton et de ses souliers ferrés les dalles de la chaussée, rencontre Töpffer et sa troupe d’écoliers, et en homme communicatif, au premier mot échangé, il se met à raconter son histoire ; il le fait en des termes pleins de force et de naïveté ; d’où Töpffer en revient à son axiome favori : Tous les paysans ont du style . […] Aussi trouvé-je toujours du plaisir à m’entretenir avec eux des choses qui sont à leur portée. » De cette observation attentive du langage campagnard et paysanesque, combinée avec beaucoup de lecture, de littérature tant ancienne que moderne, tant française que grecque76, est résulté chez Töpffer ce style composite et individuel que nous goûtons sans nous en dissimuler les imperfections et les aspérités, mais qui plaît par cela même qu’il est naturel en lui et plein de saveur. […] se demandait le voyageur jeune encore et plein de jours : la vie lui est donnée, et il est un insensé s’il s’y attache, puisqu’elle va lui être retirée : la mort lui est imposée irrévocablement, et il est un insensé encore s’il y sacrifie la vie, puisqu’elle est un bienfait de Dieu ! […] Douze ans après, au lit de mort lui-même, et durant sa dernière maladie, Töpffer revenait sur cette méditation, sur cette énigme de la destinée, dont il avait désormais une pleine conscience, et il la dénouait, selon sa mesure, en homme de famille, en époux et en père, pieux, résigné et saignant : « Renoncer au monde, si l’on prend le précepte à la lettre, disait-il, c’est fausser sa destinée en dépravant sa nature.

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