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560. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe, et d’Eckermann »

Gœthe sent très bien qu’en vieillissant on n’est plus parfaitement au fait de l’esprit nouveau de la jeunesse, de ce qui plaît ou déplaît aux générations survenantes, de ce qu’elles produisent de remarquable et de digne d’être noté ; on a besoin d’être tenu au courant, d’être rafraîchi de temps en temps et d’être averti. […] Énumérons un peu : — Riemer, bibliothécaire, philologue, helléniste : avec lui Gœthe revoit ses ouvrages au point de vue de la langue et cause de littérature ancienne ; — Meyer, peintre, historien de l’art, continuateur et disciple de Winckelmann : avec lui, Gœthe causera peinture et se plaira à ouvrir ses riches portefeuilles où il fait collection de dessins et de ce qui est parfait en tout genre ; — Zelter, musicien : celui-là est à Berlin, mais il ne cesse de correspondre avec Gœthe, et leur correspondance (non traduite) ne fait pas moins de six volumes ; Zelter tient Gœthe au courant des nouveautés musicales, des talents et des virtuoses de génie, et, entre autres élèves célèbres, il lui envoie un jour Mendelssohn, « l’aimable Félix Mendelssohn, le maître souverain du piano », à qui Gœthe devra des instants de pure joie par une belle matinée de mai 1830 ; — puis Coudray encore, un architecte, directeur général des bâtiments à la cour. […] Combien d’esprits et de talents poétiques, dans le temps de la vogue des tragédies ou des poëmes descriptifs, s’y sont épuisés, qui auraient pu toucher ou plaire dans des genres moindres et plus vrais !

561. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid (suite.) »

Dans l’Examen qu’il fit du Cid vingt-cinq ans plus tard, il indique avec complaisance quelques-unes de ces adresses qu’il a employées : il est aussi quelques-unes des beautés premières, tout à l’espagnole, qu’il a l’air de vouloir rétracter et dont il fait mine de se repentir : ainsi, à un endroit, l’offre que fait Rodrigue de son épée à Chimène et sa protestation de se laisser tuer par don Sanche « ne me plairaient pas maintenant, dit-il ; ces beautés étaient de mise en ce temps-là, et ne le seraient plus en celui-ci. […] Ouvrons maintenant le Cid et refeuilletons-le, s’il vous plaît, ensemble. […] Cette abstraction cornélienne est moins complète dans le Cid que dans les pièces qui ont suivi, et si le brillant Rodrigue nous plaît plus que les autres héros de Corneille, c’est qu’aussi il a gardé plus de vie, plus de flamme au front et plus d’éclairs.

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