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558. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) «  Essais, lettres et pensées de Mme  de Tracy  » pp. 189-209

Tout m’amuse et tout me plaît. […] M. de Tracy (vieux, et après la perte d’une affection qui lui était tout) se livrait solitairement au sentiment du plus triste abandon… II craignait de déranger les autres, il ne les recherchait plus ; il se plaisait à faire des observations sur son déclin général : « Je souffre, dont je suis », disait-il. — On le voyait à sa fenêtre en contemplation devant les nuages qui passaient et se succédaient. […] Je parle au point de vue du public, et je ne doute pas que de ces trois volumes qui sont presque inédits on n’en pût tirer un qui plairait à tout le monde, et qui placerait à un bon rang dans notre littérature morale le nom de Mme de Tracy.

559. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Benjamin Constant. Son cours de politique constitutionnelle, ou collection de ses divers écrits et brochures avec une introduction et des notes, par M. Laboulaye »

Laboulaye, l’estimable introducteur et commentateur, qui se plaît à retrouver dans ces écrits ses principes et sa propre doctrine, est un homme de l’école américaine, à prendre le mot dans le meilleur sens ; il est sincèrement d’avis que la liberté en tout, le laisser dire, le laisser faire, le laisser passer, est chose efficace et salutaire ; qu’en matière de religion, d’enseignement, de presse, d’industrie et de commerce, en tout, la liberté la plus entière amènerait les résultats en définitive les meilleurs, et que le bien l’emporterait sur le mal ; il pense que cela est également vrai chez toute nation civilisée et à tous les moments. […] Cette influence cessant, une autre qui y succéda passagèrement, celle de Mme Récamier, décida de sa conduite au 19 mars 1815 ; et c’est pour plaire à cette beauté, amie des Bourbons, pour ne pas être éclipsé en zèle royaliste et antibonapartiste auprès d’elle, pour ne pas voir un rival, le guerroyant comte de Forbin, avec son sabre, obtenir un plus gracieux sourire que lui avec sa plume, qu’il se hâta d’écrire ce fameux article du Journal des Débats, et de le faire dans des termes tels qu’il était le seul peut-être de son parti qui ne put se rallier le lendemain à Napoléon, même par les meilleurs et les plus nobles motifs de résipiscence, sans s’exposer à une contradiction flagrante et à un échec moral irréparable. […] De même Benjamin Constant, après cet engagement public et formel, contracté gratuitement et de gaieté de cœur pour plaire à une coquette, enfreint et violé par lui (très raisonnablement d’ailleurs) à un mois d’intervalle, n’en resta pas moins un homme éclairé, un publiciste éloquent, et, je l’admets tout à fait, un citoyen animé de l’amour du bien public, mais il avait porté un coup mortel à sa considération.

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