/ 2218
1095. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Notes et pensées » pp. 441-535

M. de Lamartine aborde d’un pied léger, et avec cette fatuité innocente qui lui est propre, toutes les matières et y parle assez bien, mais en glissant. […] LVI Tocqueville ne met jamais les pieds à l’Académie française ; je le crois bien : personne n’est plus étranger que lui à cet ensemble de curiosités et d’aménités qui (les grands monuments à part) constituent, à proprement parler, la littérature. […] Royer-Collard, qui, la porte entr’ouverte, avait un pied dans une chambre et l’autre pied dans l’autre ; il abrégeait donc et brusquait la conversation, que M. de Vigny, au contraire, maintenait toujours. […] Observez qu’ils se connaissent à peine, et qu’ils ont toujours été sur le pied de la cérémonie. […] Veuillot, alors sans journal et mis à pied, comme on dit.

1096. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre IV. La philosophie et l’histoire. Carlyle. »

Chez lui les paradoxes sont posés en principe ; le bon sens prend la forme de l’absurde : on est comme transporté dans un monde inconnu dont les habitants marchent la tête en bas, les pieds en l’air, en habits d’arlequins, de grands seigneurs et de maniaques, avec des contorsions, des soubresauts et des cris ; on est étourdi douloureusement de ces sons excessifs et discordants ; on a envie de se boucher les oreilles, on a mal à la tête, on est obligé de déchiffrer une nouvelle langue. […] Pourtant sa couche de nuages est tissue d’écarlate et de drap d’or ; pourtant sa lumière ruisselle sur le miroir des eaux comme un pilier de feu qui vacille descendant vers l’abîme et se couchant sous mes pieds. […] Il veut être raffiné et original tout à son aise ; il est chez lui dans son livre et portes closes ; il se met en pantoufles, en robe de chambre, bien souvent les pieds en l’air, parfois sans chemise. […] Il parle comme Fichte « de l’idée divine du monde, de la réalité qui gît au fond de toute apparence. » Il parle comme Gœthe « de l’esprit qui tisse éternellement la robe vivante de la Divinité. » Il emprunte leurs métaphores, seulement il les prend au pied de la lettre. […] Avec lui nous restreignons et nous poussons tout à la fois nos conjectures, et nous sentons à chaque pas, à travers nos affirmations et nos réserves, que nous posons solidement le pied sur la vérité.

/ 2218