Un peu prolixe de son moi, il nous raconte longuement l’interdiction de sa pièce américaine. […] Aux sollicitations du Vaudeville, implorant près de Thiers la représentation de la pièce de Sardou, Thiers a fait répondre que la chose était impossible : le peuple américain étant, dans le moment, le seul peuple faisant gagner de l’argent à Paris : on ne devait pas le blesser. […] Marcelin se jette sur lui, l’entraîne dans une autre pièce, et je l’entends lui donner, en phrases à la Napoléon, l’esprit d’un article sur le shah de Perse. […] Ainsi, faites absolument comme vous l’entendrez, vous êtes, n’est-ce pas, bien plus intéressé que moi au succès de la pièce. » Puis, au bout de tous ces apparents abandonnements, apparaissait sournoisement le nom de Meurice, de l’excellent Meurice, à qui La Rochelle devait référer, en dernier ressort, pour tout. Et toujours à la suite de cela, le refrain : « Moi, jouer avec mes petits-enfants, c’est tout ce que je demande. » En se levant, La Rochelle, mis à l’aise par la débonnarité du grand homme, lui demandait si Dumaine ne pourrait pas jouer, deux ou trois fois, dans je ne sais quelle pièce : « Voyez-vous, répondait Hugo, à ce que vous demandez, je vais vous dire qu’il y a deux Hugo : le Hugo de maintenant, un vieil imbécile, prêt à tout laisser faire, et puis il y a le Hugo d’autrefois, un jeune homme plein d’autorité — et il appuya lentement sur cette phrase. — Cet Hugo-là vous aurait refusé net, il aurait voulu la virginité de Dumaine pour sa pièce. » Et le ton sec et autoritaire, dont le second Hugo dit cela, doit faire comprendre à La Rochelle qu’il n’y a au fond qu’un seul Hugo, celui du passé et du présent.
Là il y a réellement de grandes et fortes beautés ; là l’accent profond, la couleur vraie, l’âcre senteur du sujet et en beaucoup de pièces ses lueurs terribles ; car toute misère est terrible quand l’Idée n’est pas là pour la désarmer. […] En une foule de pièces, comme, par exemple : Vieille statue, La Flûte, Le Bouc aux enfants, etc., je cherche le ménétrier des gueux et je ne trouve qu’un épicurien, un lettré, un renaissant et même un mythologue, qui croise André Chénier avec Mathurin Régnier et Callot ; Lisez surtout la pièce : Vieille statue : Ô Pan, gardien sacré de cette grotte obscure …………………………………………………… Toi qui ris d’un air bon dans ta barbe de pierre ! Et quoique la pièce soit charmante et fasse bas-relief… grec, cependant, les gueux des champs au xixe siècle, les gueux réels qui nous ont touché de leur coude percé, n’ont rien à faire avec Pan et cette voix classique qui ne résonne plus que dans les mémoires cultivées, et non dans les entrailles humaines. […] Pour donner une idée de l’œuvre de M· Richepin, elle est obligée de renvoyer à son livre, à ce mastodonte qui, s’il disparaissait de la littérature, n’aurait pas de Cuvier ; car on ne reconstituerait pas avec les os de quelques pièces de vers isolées la gigantesque ossature du tout. Ces pièces de vers, en effet, d’un talent tout à la fois exécrable et magnifique, sont accumulées les unes sur les autres par une main d’Hercule pour en faire un bûcher où brûler Dieu et le monde, et c’est là précisément qu’est le côté humain, pathétique et déchirant de cette poésie qu’on a dit n’être qu’une rhétorique.