Le plus fort est celui qui a le plus de mots à son service ; on polit les phrases, on fait battre des antithèses, on surveille les enjambements, on alimente le feu croisé des rimes ; on parle pour ne rien dire. […] Suivez bien ses phrases ampoulées, développez ses traînantes périphrases, soulevez ses images vieillies, et vous trouverez quelques pauvres allusions qu’on débite courageusement, car il n’y a pas de danger à les dire ; vous y verrez à chaque phrase, à chaque mot, l’éloge du temps où il avait voix délibérative dans les affaires du pays ; vous y sentirez, cachée sous des réticences, l’attaque envieuse contre tout ce qui est jeune, contre tout ce qui vit, contre tout ce qui a de l’avenir ; c’est la malédiction de la mort contre la vie ; c’est l’exaltation de tout ce qui est médiocre, mesquin, incolore, ordinaire, connu, ressassé, pauvre et croulant ! […] Il vous racontera les histoires imposantes des mondes planétaires, il vous décrira en phrases magnifiques le déchirement de la voie lactée ; il vous dira les aventures des étoiles disparues et les destinées des étoiles qui doivent apparaître, il vous montrera les splendeurs des végétations tropicales, il vous fera gravir les Cordillères les plus hautes, les Chimborazo les plus élevés, et vous décrira les flores singulières qui vont se dégradant et s’amoindrissant depuis le palmier jusqu’au lichen ; comme un Moïse nouveau, il ouvrira les océans devant vous et vous conduira jusque dans ces forêts de fucus crespelés où les polypiers industrieux travaillent incessamment à combler les détroits et à rapprocher les continents. […] Il me semble que les temps de l’école de l’art pour l’art sont passés à jamais ; on demande à un artiste maintenant autre chose que des phrases harmonieuses et convenablement découpées.
Ce qui domine en lui, c’est un goût parfait que blesse toute crudité de mots, toute contorsion de phrase, tout geste désordonné.