La Réforme dissipa l’ignorance, dégagea la religion de la philosophie, chassa la scolastique née de leur confusion, et l’antiquité chrétienne apparut dans toute sa beauté31. La Réforme a donc eu, avant la philosophie, l’honneur de ruiner la scolastique ; Calvin l’avait bannie de la théologie avant que Descartes la fît disparaître de la philosophie. […] Telle était l’ardeur de Marguerite pour la science, qu’en 1524 l’évêque de Meaux, Briçonnet, lui écrivait « Madame, s’il y avoit au bout du royaume ung docteur qui par un seul verbe abrégé peust apprendre toute la grammaire autant qu’il est possible d’en sçavoir, et ung aultre de la rhétorique, et ung aultre de la philosophie, et aussy des sept arts libéraux, chacun d’eux par un verbe abregé, vous y courriez comme au feu. » Elle voulait tout savoir, et savoir vite. […] C’est ce fonds de philosophie aimable et douce dans une personne qui ne s’émeut des choses qu’avec discrétion, et selon ce qu’elles valent. […] Dans une histoire allégorique de la Réforme, voici ce qu’il dit de la scolastique, et des théologiens qui la pratiquaient : Ils nourrissoient leurs grands troupeaux de songes D’ergo, d’utrum, de quare, de mensonges… … Ils ont laissé le pain qui ne perist, Pour cestuy-là qui à l’instant pourrist ; Ils ont laissé la vraye olive et franche, Pour s’appuyer sur une morte branche ; Ils ont receu vaine philosophie, Qui tellement les hommes magnifie, Que tout l’honneur de Dieu est obscurcy.
La philosophie se plie aux exigences du dogme, ce qui ne l’empêche pas d’être traitée en suspecte ; la doctrine de Descartes est proscrite de l’Université, les écrits de Spinoza sont interdits en France. […] Il est sensible dans la conception de l’univers que se font les contemporains de Louis XIV ou, ce qui revient au même, dans la philosophie qui domine parmi eux et qui est celle de Descartes. […] Ces principes ne comprennent pas toute la philosophie de Descartes ; mais ils résument ce qui en est le plus apparent, ce qui frappe le plus la génération de Louis XIV. […] Ainsi protestent quelques indépendants (toujours les mêmes) ; mais le reste des écrivains du temps acceptent et reflètent la philosophie régnante. […] Faut-il rappeler que la philosophie du temps s’occupe surtout de l’âme, abstrait de la complexe réalité la pensée pure, se fie en aveugle à la puissance du raisonnement, use de la méthode mathématique ?