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2082. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1870 » pp. 3-176

Alors la pensée et la parole de Nefftzer montant et s’élevant, il reprend : « Moi je suis germain, complètement germain, je défends seulement la France par devoir, mais je ne m’abuse pas… Le jour n’est peut-être pas loin, où vous reverrez une République phocéenne, un grand-duché d’Aquitaine, un grand-duché de Bretagne… C’est la Saint-Barthélemy, soyez-en persuadés, qui amène, en ce moment, la fin de la France… si la France était devenue protestante, c’eût été à tout jamais la grande nation de l’Europe… Voyez-vous, dans les pays protestants, il y a une gradation entre la philosophie des classes supérieures et le libre examen des classes inférieures… en France, entre le scepticisme du haut et l’idolâtrie du bas, il y a un trou, un abîme… croyez que c’est cela qui tue la France. » Dans le café devenu obscur, envahi par les ténèbres, de cette grosse face jordanesque, rougeoyante sous la lumière crue de la chandelle, qui en fait saillir la chair épaisse et verruqueuse, de ce baragouin, par moments, incompréhensible, de cette parole rétive, qui sort comme d’éructations, s’échappent des pensées pleines de profondeur, des ironies, des paradoxes, presque de génie.

2083. (1864) Études sur Shakespeare

L’ardeur poétique et l’âpreté religieuse, les querelles littéraires et les controverses théologiques, le goût des fêtes et le fanatisme des austérités, la philosophie, la critique, les sermons, les pamphlets, les épigrammes, se produisaient, se rencontraient, se croisaient ; et dans ce conflit naturel et bizarre se formaient la puissance de l’opinion, le sentiment et l’habitude de la liberté : forces brillantes à leur première apparition et imposantes dans leurs progrès, dont les prémices appartiennent au gouvernement habile qui les sait employer, mais dont la maturité menace le gouvernement imprudent qui voudra les asservir.

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