Un pareil tarissement des énergies intimes de la sensibilité n’est pas un phénomène rare dans les civilisations vieillissantes. […] Mais ces formules expliquent ces phénomènes, elles ne les représentent pas. […] Les phénomènes succèdent aux phénomènes, mais, en réalité, tout reste la même chose, tout se précipite, tout se dépêche d’aller on ne sait où, et tout s’évanouit sans laisser de trace, sans avoir rien atteint ; le vent a soufflé d’ailleurs. […] L’application de l’esprit à des phénomènes réels nous procure peu à peu le contentement, la clarté, l’instruction. […] Il est possible que le repos de l’esprit soit dans l’absolu, mais il est certain que nous ne rencontrons par notre analyse que des phénomènes contingents.
Même dans les cas d’apparente indifférence, il y a toujours au fond de notre cerveau, siège de mouvements insensibles, une réponse du dedans au dehors, une exertion de force motrice ; c’est ce que la physiologie contemporaine exprime en disant que les phénomènes cérébraux sont à la fois sensoriels et moteurs. […] Nous croyons plutôt qu’il y a là un phénomène maladif d’écho et de répétition intérieure, analogue à celui qui a lieu dans le souvenir véritable : toutes les sensations nouvelles se trouvent avoir un retentissement et sont ainsi associées à des images consécutives qui les répètent ; par une sorte de mirage, ces représentations consécutives sont projetées dans le passé. […] C’est en vertu de cette loi que la nature tend à un minimum de complication, que la conscience distincte abandonne progressivement tous les phénomènes physiologiques où elle ne peut plus être d’aucun usage, que la mémoire enfin tend à se convertir en automatisme.