Le poème dont il est question, ou, pour mieux parler, les poésies en général comme les philosophies des Indiens, en d’autres termes toutes les manifestations de leur pensée, sont marquées des caractères qui doivent distinguer un pareil peuple, et ces caractères sont tous inférieurs. Le Ramayâna n’a ni action, ni drame, ni individualité, ni génération d’événements, ni rien enfin de ce qui constitue, chez les peuples qui possèdent la notion de l’ordre et de la liberté, une épopée. Les détails mêmes, les arabesques si chères à la Fantaisie, à cette Belle au Bois dormant qui s’est assoupie au branle monotone de la littérature de Louis XIV et que la gloire du xixe siècle sera d’avoir réveillée, toutes ces choses qui ne sont pas la poésie elle-même, mais qui y touchent, ne paraissent point là en réalité ce qu’on les croyait à distance : « Pour faire un paradis persan, — disait Lord Byron en plaisantant, — il faut beaucoup de ruisseaux de limonade et des milliers de longs yeux noirs. » Pour faire un poème indien, la méthode ne serait peut-être pas beaucoup plus compliquée… Les fragments de Colbrooke et la Sacountala, quoique traduite avec la bégueulerie française par M. de Chézy (un homme qui aurait appris la Trénis aux Bayadères), ont suffisamment montré que la métaphore indienne était vite épuisée, comme il doit arriver toujours chez les peuples immobiles, qui n’observent pas, qui n’agissent point, et qui vivent de la vie végétale de l’humanité. […] Traduit par un homme de grand talent avec la piété d’un Fidèle, avec le soin que mettaient les moines copieurs du Moyen Âge à transcrire leurs plus précieux manuscrits, le vaste livre de Valmiki restera comme un renseignement très curieux et infaillible de l’état cérébral d’un peuple dont jusqu’ici on a forcé les proportions. […] Il faudrait s’indianiser par l’étude, perdre de la netteté de sa pensée, s’émousser et s’abaisser au niveau de l’engourdissement d’un peuple qui s’est peint tout entier dans le cadre de cet axiome : « Il vaut mieux être assis que debout, couché qu’assis, mort que vivant !
Mais il ne faut pas s’y méprendre, l’art et l’émotion ne sont pas ce qu’un vain peuple d’utilitaires pense. […] Il nous y a rapporté, avec un grand détail d’érudition, ces coutumes de tous les peuples en matière de sépulture qui, jusqu’à l’établissement de l’Église Romaine, laquelle sut seule doser exactement le respect qu’on doit à nos poussières, ne furent guères que des superstitions idolâtres, grossières et quelquefois sanglantes. […] mais les coutumes des peuples et les inventions, en fait de tombes, decette Humanité qui ne sait comment s’adorer et s’éterniser dans ses propres débris, ne sont pas aussi variées qu’on pourrait le croire. […] il nous parle seulement des avantages relatifs du cimetière de Méry, à cette heure en projet, et ne touche nullement à la question générale des grands cimetières, qui n’est, en somme, que la question retournée des grandes villes, de ces grands centres de population, les hypertrophies dont les peuples modernes, si on n’y prend garde, pourraient bien mourir ! […] Histoire des Inhumations chez les peuples anciens et modernes (Nain Jaune, 29 août 1867).