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694. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — II. (Fin.) » pp. 322-341

Il l’accompagnait à Rome et devenait volontiers un cicerone en personne. […] Je dis surtout les qualités de l’homme distingué dont je parle ; personne ne niera, en effet, qu’il n’eût celles-là77. […] Beyle, qui vivait dans des salons charmants, littéraires et autres78, a donc parlé de ceux du faubourg Saint-Germain comme on parle d’un pays inconnu où l’on se figure des monstres ; les personnes particulières qu’il a eues en vue (dans le portrait de Mme de Bonnivet, par exemple) ne sont nullement ressemblantes ; et ce roman, énigmatique par le fond et sans vérité dans le détail, n’annonçait nulle invention et nul génie. […] Je ne veux faire la cour à personne, mais moins encore au peuple qu’au ministre. » Beyle est donc très frappé de cette disposition à faire son chemin, qui lui semble désormais l’unique passion sèche de la jeunesse instruite et pauvre, passion qui domine et détourne à son profit les entraînements mêmes de l’âge : il la personnifie avec assez de vérité au début dans Julien. […] La Chartreuse de Parme (1839) est de tous les romans de Beyle celui qui a donné à quelques personnes la plus grande idée de son talent dans ce genre.

695. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le baron de Besenval » pp. 492-510

Il ne crut point non plus devoir se rendre de sa personne à Soleure pour y lutter d’intrigue et d’argent, et travailler à faire casser le décret : « La chose était possible, dit-il ; mais, indépendamment de ce que je trouvais le théâtre un peu petit pour me donner la peine d’y préparer cette scène, elle m’aurait demandé du temps que je ne pouvais prendre qu’au détriment de ma machine militaire qui commençait à se monter, et qui voulait ma présence pour tendre à sa perfection. » Après avoir écrit une lettre de soumission respectueuse, il s’en remit donc au cours naturel des choses. […] Il faut l’entendre nous expliquer par le menu tout le procédé artificieux et méchant du comte de Frise envers la personne qu’il a gagé de séduire75, ses batteries masquées, ses instances soudaines et ses éclats de grands sentiments, ses lenteurs calculées, les complications qu’il introduit, les jalousies qu’il suscite et toutes les tortures qu’il inflige : J’étais, ose dire Besenval, le confident de ses plus secrètes pensées. […] Personne ne connaissait mieux que moi le fond de son âme (elle était jolie son âme ! […] Besenval était donc atteint lui-même autant que personne de ce faux genre et de ce vice d’incurable légèreté. […] [NdA] Cette personne était Mme de Blot qui devint l’amie de M. de Castries, et la rivale qu’elle eut quelque temps dans le caprice du comte de Frise était Mme de Clermont, la future maréchale de Beauvau.

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