Mais ils n’auraient eu personne à qui commander, si l’intérêt commun ne les eût décidés à satisfaire leurs clients révoltés, et à leur accorder la première loi agraire qu’il y ait eu au monde. […] Elles peuvent disposer des personnes, des biens et du travail, elles peuvent imposer des taxes et des tributs, lorsqu’elles ont à exercer ce droit que j’appelle domaine du fond public (dominio de’ fundi), et que les écrivains qui traitent du droit public appellent domaine éminent. […] Cette souveraineté civile, considérée comme une personne, eut son âme et son corps : l’âme fut une compagnie de sages, tels qu’on pouvait en trouver dans cet état de simplicité, de grossièreté. […] Ces consuls étaient deux rois annuels d’une aristocratie, reges annuos , dit Cicéron dans le livre des lois, de même qu’il y avait à Sparte des rois à vie, quoique personne ne puisse contester le caractère aristocratique de la constitution lacédémonienne. […] Sparte, la ville héroïque de la Grèce, eut son Manlius dans le roi Agis ; Rome, la ville héroïque du monde, eut son Agis dans la personne de Manlius : Agis entreprit de soulager le pauvre peuple de Lacédémone, et fut étranglé par les éphores ; Manlius, soupçonné à Rome du même dessein, fut précipité de la roche Tarpéienne.
Les mémoires d’un homme d’État ou de tout autre homme, rédigés par lui-même ou par des personnes à sa dévotion, ne sauraient être acceptés sans contrôle. […] Rosny, des plus vaillants soldats et des mieux payant de sa personne, était employé par Henri, même en guerre, aux emplois qui demandaient autre chose encore que du courage. […] Il porte quelque avarice jusque dans l’affection et la faveur dont il est l’objet, et n’aime à la partager avec personne. […] » À l’affaire d’Aumale (1592) où Henri s’expose si imprudemment, Rosny est dépêché par les plus fidèles serviteurs du roi pour lui faire remontrance sur le terrain même et le prier de ne point se hasarder ainsi sans besoin : « Sire, ces messieurs qui vous aiment plus que leurs vies, m’ont prié de vous dire qu’ils ont appris des meilleurs capitaines, et de vous plus souvent que de nul autre, qu’il n’y a point d’entreprise plus imprudente et moins utile à un homme de guerre que d’attaquer, étant faible, à la tête d’une armée. » À quoi il vous répondit : « Voilà un discours de gens qui ont peur ; je ne l’eusse pas attendu de vous autres. » — « Il est vrai, Sire, lui repartîtes-vous, mais seulement pour votre personne qui nous est si chère ; que s’il vous plaît vous retirer avec le gros qui a passé le vallon, et nous commander d’aller, pour votre service ou votre contentement, mourir dans cette forêt de piques, vous reconnaîtrez que nous n’avons point de peur pour nos vies, mais seulement pour la vôtre. » Ce propos, comme il vous l’a confessé depuis, lui attendrit le cœur… Il y a dans ces Mémoires de Sully, et si l’on en écarte les cérémonies et les lenteurs, des scènes racontées d’une manière charmante et même naïve. […] Partant, jugez si je mérite d’être ainsi traité, et si je dois plus longtemps souffrir que les financiers et trésoriers me fassent mourir de faim, et qu’eux tiennent des tables friandes et bien servies… Rosny introduit, après bien des retards, dans le Conseil des finances, y trouva une conjuration et complicité tacite des autres membres qui tendaient à le déjouer et à le faire tomber en faute : Or sus, mon ami, lui avait dit le roi au moment de l’y installer, c’est à ce coup que je me suis résolu de me servir de votre personne aux plus importants Conseils de mes affaires, et surtout en celui de mes finances.