Ma fortune, aux trois quarts détruite par une persécution de quatre années, ne me permet pas de payer un autre loyer, pendant que ma maison dépérit faute d’être habitée… Je cours après tous mes débris, car il faut laisser du pain à mes enfants… Quand on a tout savouré, l’existence presque entière est dans les souvenirs. […] » Dans une de ses lettres finales, nous surprenons de lui un espoir ou du moins un désir sur l’immortalité de l’âme : Je n’aime pas, disait-il à un ami, que, dans vos réflexions philosophiques, vous regardiez la dissolution du corps comme l’avenir qui nous est exclusivement destiné ; ce corps-là n’est pas nous ; il doit périr sans doute, mais l’ouvrier d’un si bel assemblage aurait fait un ouvrage indigne de sa puissance s’il ne réservait rien à cette grande faculté à qui il a permis de s’élever jusqu’à sa connaissance ! […] Le simple coup d’œil qu’il m’a été donné de jeter sur ces papiers me permet de dire que, le jour où le spirituel biographe en aura fait l’usage qu’il est capable d’en faire, bien des doutes seront éclaircis, et que l’on saura dorénavant son Beaumarchais comme on sait maintenant son Rousseau et son Voltaire33.
La critique littéraire, qui doit être heureuse et fière de s’élever toutes les fois qu’elle rencontre de grands sujets, se plaît pourtant, par sa nature, à ces sujets moyens qui ne sont point pour cela médiocres, et qui permettent à la morale sociale d’y pénétrer. […] Cette jeune femme, sur laquelle tous les portraits s’accordent, était, dès l’âge le plus tendre, une perfection mignonne de bon sens, de prudence, de grâce et de gentillesse : Mme de Stainville, à peine âgée de dix-huit ans, nous dit l’abbé Barthélemy, jouissait de cette profonde vénération qu’on n’accorde communément qu’à un long exercice de vertus : tout en elle inspirait de l’intérêt, son âge, sa figure, la délicatesse de sa santé, la vivacité qui animait ses paroles et ses actions, le désir de plaire qu’il lui était facile de satisfaire, et dont elle rapportait le succès à un époux digne objet de sa tendresse et de son culte, cette extrême sensibilité qui la rendait heureuse ou malheureuse du bonheur ou du malheur des autres, enfin cette pureté d’âme qui ne lui permettait pas de soupçonner le mal. […] Les détails où il faut entrer sans cesse, et qui recommencent chaque jour, ne le lassent point ; loin d’être jamais un ennui, ils lui paraissent une source de plaisirs : Consacrons à l’amitié, dit-il, les moments dont les autres devoirs nous permettent de disposer ; moments délicieux qui arrivent si lentement et qui s’écoulent si vite, où tout ce qu’on dit est sincère, et tout ce qu’on promet est durable ; moments où les cœurs à découvert et libres de contrainte savent donner tant d’importance aux plus petites choses, et se confient sans peine des secrets qui resserrent leurs liens ; moments enfin où le silence même prouve que les âmes peuvent être heureuses par la seule présence l’une de l’autre ; car ce silence n’opère ni le dégoût ni l’ennui.