Une femme d’esprit disait en parlant d’un ancien amant qui avait pris toute sa jeunesse : « Il m’a laissée là quand il m’a vue flétrie ; mais je me suis dit : Je vais me venger et lui jouer un bon tour, je resterai son amie. » Mme Dufrenoy avait pensé à peu près la même chose, mais elle l’avait dit sans un malin sourire et d’un ton plus élégiaque et tout sentimental : Amour, redonnez-lui le dessein de me plaire ; Mais, quoi que l’ingrat puisse faire, Ne sortez jamais de mon cœur ! […] Elle pensait tout à fait là-dessus comme Mme Récamier, comme Mme de Staël ; et puisque j’ai rappelé ces deux noms de femmes célèbres, je citerai un touchant passage de lettre qui les concerne. […] Coulmann le 29 juillet 1817, quinze jours après la mort de Mme de Staël : « J’ai regretté vivement Mme de Staël ; je pense comme vous qu’on ne peut la remplacer sous plus d’un rapport. […] Après le départ de Mme Récamier, je réfléchissais aux jugements de ce monde : il a souvent accusé cette jolie femme de coquetterie, de légèreté, et je la voyais livrée à un sentiment si profond de regret, elle exprimait en si peu de mots et avec tant de douceur ses plaintes, que j’ai plus d’une fois pensé que tous les succès de Mme de Staël ne valaient point une semblable amitié. […] Elle lui répondit comme une personne qui n’entend rien à tous ces mystères et qui, dans tout son procédé, y va bon jeu bon argent (octobre 1821) : « Savez-vous bien que cette dernière lettre, à laquelle vous ne pensez peut-être déjà plus, m’a fourni bien des réflexions, et que je ne sais vraiment comment y répondre ?
Je pense qu’il est imprudent de satisfaire toutes ses curiosités, et meilleur d’obéir à ses sympathies. […] « Cela est triste ; mais ce qui prouve que c’est vrai, c’est que, cela même, il faudrait le penser et ne pas le dire. […] Parce que je ne suis plus en danger de désespoir et de mort, pensez-vous que votre souvenir me serait un bonheur superflu ? […] En causant avec lui (quand vous en aurez l’occasion), il vous sera facile de savoir ce qu’il pense à mon égard et quelles sont ses vraies idées. […] — Les souvenirs, en général, me sont chose si chère et si douloureuse que je n’aime pas à y insister à moins qu’on ne m’y oblige. — Mais à ceux qui m’interrogent sur ce que je pense à mon tour de l’auteur des éloquents Mémoires, je réponds : Vous la connaissez par là comme par tant d’autres endroits de ses écrits, mais vous ne la connaissez encore qu’à demi : il y a des parties plus profondes, plus vives, qu’elle a raison, du moins maintenant, de ne pas dire, et seulement d’indiquer : si on savait tout d’elle, je ne parle pas de l’admiration, mais l’estime pour sa nature et la sympathie même augmenteraient.