Miroir magique où se passe l’intention visible, et la pensée nue ! […] Le rapsode est devenu citoyen, et le conte épique devient un discours : l’histoire est une tribune où un homme, doué de cette harmonie des pensées et du ton que les Latins appelaient uberté, vient plaider la gloire de son pays et témoigner des grandes choses de son temps. […] Les pensées, les caractères, les sentiments, les hommes, les choses, l’âme et les dehors d’un peuple apparaîtront dans le portrait de cette personnalité où l’humanité d’un temps se montrera comme en un grand exemple. […] Nous l’avons évoqué dans ces monuments peints et gravés, dans ces mille figurations qui rendent au regard et à la pensée la présence de ce qui n’est plus que souvenir et poussière. […] Cet abandon de l’amitié, cette causerie de l’intimité, n’admettent ni faussetés ni détours, et comme l’on n’en soupçonne pas plus qu’on n’en redoute la publicité, les pensées les plus secrètes s’y trahissent, l’esprit et le cœur s’y montrent sans déguisement.
On le voit, non seulement notre pensée en son fond est impersonnelle, mais de plus notre sensibilité, qui semble nous constituer plus intimement, finit par devenir en quelque sorte sociale. […] Un simple rayon de soleil ou de lune nous touche s’il évoque dans notre pensée les figures souriantes des deux astres amis. […] Les vrais paysages sont aussi bien au dedans de nous qu’au dehors : nous y collaborons, nous les dessinons pour ainsi dire une seconde fois, nous repensons plus clairement la pensée vague de la nature. […] Enfin à l’expression vient s’ajouter la fiction, pour multiplier à l’infini la puissance contagieuse des émotions et des pensées. […] Alors se crée un milieu moral et mental où nous sommes constamment baignés et qui se mêle à notre vie propre : dans ce milieu, l’induction réciproque multiplie l’intensité de toutes les émotions et celle de toutes les idées, comme il arrive souvent dans les assemblées, où un grand nombre d’hommes réunis sont en communication de sentiments et de pensées.